Chapitre 17 : Emrys

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— Ne t'en fais pas, mère, je reviendrai rapidement, murmuré-je en déposant un baiser plein de tendresse sur son front ridé.

Ses cheveux argentés encadrent ce visage marqué par le temps, chaque ride racontant une histoire, une épreuve surmontée, une joie vécue. Ses yeux fatigués se ferment brièvement. C'est comme si cette simple promesse portait tout l'espoir et les craintes d'une vie entière. Le poids de ses inquiétudes semble trouver une place sur mes épaules.

Pourtant, ce n'était pas seulement un départ. Le devoir m'appelle. Malgré la maladie de ma mère, mon rôle de chef de la mafia exige ma présence ailleurs. Les tensions montent dans le quartier, des ennemis rôdent, cherchant à infiltrer notre territoire. Ces dernières semaines ont été particulièrement éprouvantes. Nous avons découvert un repaire d'ennemis à proximité de la maison. Ils ont tenté de s'infiltrer et nous avons dû neutraliser cette menace rapidement pour empêcher toute intrusion. Après un bref échange de tirs, mes hommes ont réussi à les mettre hors d'état de nuire. L'odeur de la poudre, les cris étouffés, les impacts criblant les murs de la vieille bâtisse... tout cela est encore frais dans ma mémoire.

Je serre mes valises, lourdes de souvenirs et de responsabilités, et monte prestement dans la voiture, mon sanctuaire mobile vers une solitude choisie. Alors que je quitte la maison, je jette un dernier regard vers la bâtisse, mes yeux s'attardant sur les gardes armés postés stratégiquement. Je ne laisserai rien arriver à ma mère pendant mon absence. Trop de dangers rôdent pour la laisser sans protection solide.

La route devant moi s'étire interminablement, chaque kilomètre prolongeant l'attente comme un élastique prêt à céder sous la tension. Le paysage défile, chaque arbre, chaque pierre me rappelant la fragilité de l'existence. Alors que la journée se dissout lentement dans le crépuscule, le revêtement de la route, usé par le temps et les passages innombrables, reflète mes pensées, entremêlées de devoir et d'inquiétude, qui planent sur la frêle silhouette de ma mère.

Le silence de l'habitacle est brusquement brisé par la sonnerie de mon téléphone, un son discordant dans cette quiétude pesante.

— Mon vieux, que me vaut l'honneur de ton appel ? demandé-je, tentant de dissimuler mon trouble sous un masque d'enthousiasme.

— Je suis dans les parages. J'ai entendu dire que ta mère n'allait pas bien. On se rejoint quelque part, loin des yeux curieux ? J'ai besoin de rester quelques jours. On a des choses importantes à se dire, toi et moi, déclare-t-il d'une voix grave.

Je prends une profonde inspiration, pesant mes options. Samael est un vieil ami, presque un frère. Mais même avec lui, il faut être prudent.

— Ouais, y'a un vieux motel à la sortie de la ville, moins de regards indiscrets. 30 minutes, ça te va ?

— Parfait, vieux con, grogne-t-il avant de raccrocher abruptement.

Intrigué, je jette un coup d'œil dans le rétroviseur et distingue sa silhouette familière, sombre et imposante, furtive comme un spectre du passé. Samael, avec ses cheveux dorés légèrement filandreux et sa barbe de quelques jours, une carrure peu imposante, des épaules larges et des yeux perçants, dégage toujours cette aura de force brute mêlée à une intelligence acérée. En roulant vers le point de rendez-vous, les souvenirs d'enfance affluent, comme des vagues de nostalgie mêlée d'amertume.

Il y a dans ses yeux une intensité que je n'ai pas vue depuis des années, une flamme qui semble vouloir brûler tous les secrets qu'il porte.

— Toujours le même, toi, hein ? Toujours là à courir après les problèmes, lance Samael en riant, sa voix rauque résonnant dans le petit vestibule du motel.

— Je n'ai pas le choix, vieux. Le devoir avant tout. Et puis, tu sais combien ils sont sur mon dos en ce moment.

— Ouais, ouais, je sais. Mais t'es trop dur avec toi-même parfois, tu mérites un peu de répit.

Il observe chaque coin, son regard acéré jaugeant la situation comme un fauve prêt à bondir. Il a toujours été ainsi, méfiant, sur ses gardes, son instinct de survie aiguisé par des années passées à naviguer les eaux troubles de notre monde.

— Tu crois que j'ai le temps pour ça ? Dis-moi ce que t'as sur le cœur.

— Pas si vite, l'ami. D'abord, parle-moi de cette nouvelle domestique. Elle a l'air... prometteuse, lance-t-il en hochant les sourcils, une lueur malicieuse dans ses yeux sombres.

Je roule des yeux et serre la mâchoire, essayant de contenir mon agacement.

— C'est pas tes affaires, Samael. T'as pas d'autres sujets de conversation plus intéressants ?

— Oh, allez, avoue. T'es tombé amoureux ? Ça expliquerait pourquoi t'as l'air si nerveux, insiste-t-il, un sourire en coin, ses gestes maîtrisés trahissant l'assurance de celui qui sait manipuler les émotions d'autrui comme un marionnettiste.

— Ferme-la. Elle ne m'intéresse pas. Et même si c'était le cas, ce n'est pas à toi de juger.

Samael éclate de rire, découvrant une rangée de dents blanches sous sa barbe de quelques jours.

— Détends-toi, mec. On dirait que t'as avalé un bâton. Profite un peu de la vie.

— Tu sais bien que je dois rester prudent, dis-je en soupirant. On ne sait jamais qui pourrait essayer de se rapprocher pour frapper là où ça fait mal.

Les paysages changent autour de nous tandis que nous continuons notre trajet vers la villa. En chemin, nous évoquons des souvenirs de jeunesse, les escapades dans les ruelles sombres, les coups montés, et les rêves oubliés.

— Souviens-toi quand on a fait sauter la bagnole de ce flic corrompu, dit Samael avec un sourire en coin.

— Ouais, et on a failli se faire attraper. Mais c'était bon de le voir courir comme une poule sans tête, réponds-je en ricanant.

Alors que la nuit tombe, nous continuons à échanger des histoires, nos voix se mêlant aux ombres qui dansent sur les parois de la voiture.

Samael se fait plus sérieux, et je sens qu'il a quelque chose de lourd sur le cœur.

— Écoute, Emrys, il y a autre chose. Tu sais que mon vieux commence à perdre la boule, non ?

— Ton père ? Ouais, j'ai entendu des trucs. Il se fait de plus en plus... imprévisible.

— Ouais, c'est le moins qu'on puisse dire. Il est devenu complètement cinglé. Et bientôt, c'est moi qui devrai reprendre les rênes. Mais... putain, ce n'est pas simple. J'ai besoin de ton aide.

Je jette un coup d'œil à Samael, son visage grave contrastant avec ses taquineries habituelles.

— T'as toujours été le plus réfléchi de nous deux, Samael. Tu t'en sortiras. Mais d'accord, je t'épaulerai. T'as une idée de comment tu veux gérer ça ?

— Franchement, je sais plus trop. Le vieux a des créances partout, et des ennemis qui rôdent. C'est un bordel sans nom.

— Bienvenue dans le club, réponds-je en haussant les épaules. On a tous nos fardeaux. Mais t'inquiète pas, on trouvera un moyen de te sortir de ce merdier.

Samael se détend un peu, gratifiant de regard le paysage nocturne qui défile par la fenêtre.

— Parfois, j'aimerais tout plaquer, tu sais ? Partir loin, vivre une vie normale.

— La vie normale, c'est pour les autres. Nous, on est déjà trop enfoncés dans cette merde, lui dis-je, ma voix teintée d'amertume. Mais avec notre expérience, on peut encore faire en sorte que ça tourne à notre avantage.

— T'as raison. Putain, c'est pour ça que t'es là, toujours à voir le côté stratégique des choses. Moi, j'suis juste bon à casser des gueules et à éviter les balles.

— Eh, c'est déjà pas mal, répliqué-je en riant.

Notre conversation s'étire jusqu'au crépuscule, et nos voix se mêlent aux ombres qui dansent sur les parois de la voiture. Samael continue de me provoquer gentiment, mais ses mots portent toujours une sagesse sous-jacente, une compréhension profonde de la vie que nous avons choisie. Malgré ses moqueries, il est un allié irremplaçable, un frère d'armes.

Nous nous dirigeons vers notre destination, conscients du poids des responsabilités et des dangers qui nous attendent. Mais au fond, nous savons que tant que nous resterons unis, nous serons capables de tout affronter, de traverser toutes les tempêtes ensemble.

Emprise infernale [ TERMINÉE en réécriture ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant