Chapitre 20 : Emrys

164 18 28
                                    

Les souvenirs de la journée se déploient devant mes yeux comme un kaléidoscope d'émotions et de moments disparates, chacun prenant une nouvelle intensité, une signification renouvelée. Chaque sourire échangé, chaque silence pesant, chaque geste maladroit résonne en moi comme autant de pièces d'un puzzle complexe encore à assembler. Je me sens comme un étranger dans mon propre monde, perdu dans un dédale de mystères et de questionnements sans fin.

La nuit s'étire, étouffant mes pensées dans une atmosphère lourde d'incertitudes. Chaque instant de silence est empreint d'une urgence palpable, chaque ombre devient le reflet de mes doutes et de mes craintes les plus profondes. Le calme apparent ne fait qu'amplifier les échos de mon anxiété, et je me retrouve à repasser mentalement chaque interaction de la journée, chaque regard échangé, chaque parole prononcée. Il est presque insupportable de constater combien tout cela semble peser sur mon esprit, combien l'incertitude mine ma tranquillité d'esprit.

Finalement, je me lève, la détermination gravée dans chaque fibre de mon être. Il est temps de confronter la réalité, aussi douloureuse soit-elle. Parler à l'un ou à l'autre est devenu une nécessité, un impératif pour apaiser le tumulte qui gronde en moi, pour retrouver un semblant de paix intérieure. La simple idée d'agir, de faire quelque chose pour briser ce cycle infernal de réflexion et de doute, me donne un peu de courage.

Mes pas, presque guidés par une force invisible, me conduisent devant la porte de Laelynn. J'hésite un instant, la main tremblante sur la poignée, le cœur battant à tout rompre. Je sens un lien fort, une urgence plus grande à comprendre et à protéger.

La porte s'ouvre avec une fluidité presque irréelle, révélant l'intimité tamisée de la chambre de Laelynn. Chaque pas que je fais sur le parquet ciré semble résonner dans le silence de la nuit, amplifiant la tension qui habite l'atmosphère. Sous la douce lumière de la lune qui se glisse à travers les rideaux, Laelynn repose, paisible et vulnérable. Cette scène en apparence tranquille contraste si vivement avec l'agitation de mon esprit que j'en suis presque déconcerté.

Son visage, d'ordinaire si expressif et lumineux, semble maintenant marqué par les tourments de la journée passée. Une légère trace de larme brille encore sur sa joue, témoignage muet de ses émotions contenues. Ses cheveux bruns et ébouriffés encadrent son visage avec une douceur infinie, lui conférant une aura à la fois innocente et troublante. Il y a en elle une vulnérabilité que je n'avais pas perçue si nettement avant ce moment précis.

Elle est vêtue d'un pyjama en soie d'un rose pâle, orné de motifs enfantins. Le tissu caresse sa peau délicate, soulignant sa féminité sans jamais la dévoiler complètement. Ce vieux vêtement, peut-être choisi pour son confort et sa familiarité, semble presque en décalage avec les thèmes graves et violents qui envahissent mes pensées.

Je m'approche de son lit, conscient de l'audace de mon geste. Une brève hésitation me saisit alors que je contemple sa silhouette endormie, comme si je craignais de briser ce fragile équilibre. Mais la nécessité de découvrir la vérité, de percer le voile de mystère qui enveloppe nos vies, m'empêche de reculer. Chaque pas en avant semble nécessiter un effort, une lutte contre des forces internes qui me retiennent.

Alors que je m'attarde à contempler sa tranquillité, mes yeux discernent des marques violacées, des bleus disséminés sur sa peau délicate. Mon esprit s'emballe : est-ce qu'elle couche avec Samael ? S'est-elle battue avec quelqu'un ? Quelqu'un lui a-t-il fait du mal ? Les pensées dans ma tête se transforment en actes imaginaires de vengeance et de colère que j'étouffe difficilement. Dans ma rage impuissante, je la vois balancée contre un mur, je sens mes mains encercler son cou sans ménagement, je l'imagine suppliant pour une vérité que je demande ardemment. Mon esprit construit des scenaris où elle avoue sous la contrainte, où chaque geste est une décharge de frustration contenue.

Mais je me contrôle. En réalité, je reste immobile, la contemplant avec une mixité d'émotions contradictoires qui menacent de me consumer. Il y a la colère, la peur, mais aussi une grande tendresse, un désir profond de la protéger à tout prix. Je m'assois à ses côtés, sa respiration paisible contraste avec le chaos qui m'habite.

Elle dort, inconsciente de la tempête qui rugit dans mon esprit. Ma voix tremble à peine lorsqu'elle s'élève en un murmure à son oreille, livrant mes pensées comme une confession. Il y a quelque chose de profondément solennel, presque sacré, dans cet instant.

— Tant que tu vis et travailles sous mon toit, aucun homme ne te touche, et inversement. Ici, tu m'appartiens, et cette appartenance n'est pas une simple formalité, mais un engagement profond à veiller sur toi.

Je m'interromps, observant son visage endormi. Elle ne réagit pas, mais la tension dans mon cœur ne faiblit pas.

— Chaque jour, je m'assure que tu sois protégée, respectée, et que personne ne puisse violer cet espace sacré. Si quelqu'un te fait du mal, tu m'en parles immédiatement. Ta voix doit être entendue, et je serai toujours prêt à intervenir pour te défendre. Il est crucial que tu me tiennes informé de tout comportement inapproprié ou menaçant.

Un léger mouvement de sa part me fige un instant, mais elle reste profondément endormie. Malgré le calme apparent, je sens que les mots que je prononce sont d'une importance capitale. Ils sont le reflet de mes promesses, de mes valeurs, de ce que je suis prêt à faire pour elle.

— Tu n'as pas le droit de coucher avec qui que ce soit. Je veux m'assurer que tu ne sois jamais exploitée ou mise en danger par des relations physiques non consenties. Je te le jure, Laelynn, si quelqu'un t'approche avec de mauvaises intentions, je le tuerai pour toi. Je n'hésiterai pas à utiliser tous les moyens à ma disposition pour te protéger, même si cela signifie recourir à la violence. Promets-moi de rester vigilante et de me faire confiance, et je te promets de te défendre coûte que coûte.

Elle reste immobile, ses yeux fermés, le souffle régulier. Je sens la rage qui s'apaise doucement, noyée par une tendresse imprévue. Je caresse doucement une mèche de cheveux qui encadre son visage, cherchant un réconfort dans ce simple geste.

Soudain, elle se réveille brutalement en hurlant :

— Samael, non ! Arrête, ne fais pas ça !

Puis, aussi subitement qu'elle s'est réveillée, elle se rendort, une larme coulant sur sa joue. Je suis figé, perplexe face à ce cri désespéré. Un très mauvais rêve, sans doute, mais ce nom, cet appel... Cela me laisse bouleversé, presque avec l'envie de la réveiller pour obtenir des explications.

Mais je ne le fais pas. À la place, je décide que des comptes doivent être réglés.

Je quitte la chambre de Laelynn, refermant la porte derrière moi avec une précaution exagérée, comme si le moindre bruit pouvait briser son sommeil agité. Mon esprit est en ébullition, tentant de comprendre le sens de ce cauchemar qui torture Laelynn. Le nom de Samael résonne dans ma tête comme une accusation, un cri d'alarme que je ne peux ignorer.

Dans la cuisine, je saisis une bouteille, mes mains tremblantes trahissant mon état intérieur. J'aperçois alors Klark, assis à la table, une cigarette entre les doigts. Il lève les yeux, surpris de me voir à une heure si tardive.

— Qu'est-ce qui t'amène ici, à cette heure-là ? me demande-t-il, l'inquiétude perçant dans sa voix.

Sans un mot, je me sers un verre du liquide ambré qui se trouve dans la bouteille, laissant l'alcool brûler sa trajectoire jusqu'à mon estomac. Le goût amer et piquant m'envahit, essayant vainement de faire taire le chaos intérieur qui me ronge. Je prends une longue inspiration, le souffle encore chaud de l'alcool.

Je devine le regard insistant de Klark sur moi, attendant des réponses. Les volutes de fumée de sa cigarette tourbillonnent dans l'air, dessinant des formes fugaces et évanescentes, comme les pensées qui me traversent. Klark n'est pas du genre à poser des questions inconsidérément; il attendra que je sois prêt à parler, mais cela n'apaisera pas son inquiétude palpable.

— C'est Laelynn, murmuré-je finalement, mes mots noyés d'incertitude. Quelque chose ne va pas chez elle.

Je m'interromps, cherchant les mots justes pour exprimer ce que j'avais vu. Mon esprit revient inlassablement à l'image de Laelynn endormie, marquée par les bleus, et à ce cri désespéré qui la hante, même dans ses rêves.

— Elle a crié... elle a crié le nom de Samael dans son sommeil. Et... et elle avait des marques sur son corps, Klark. Des bleus.

Klark, toujours silencieux, écrase lentement sa cigarette dans le cendrier posé devant lui. Le bruit de la cendre écrasée est amplifié par le silence oppressant de la pièce. Il prend un moment, comme s'il pesait chaque mot avant de répondre. Son regard est devenu plus grave, plus intense, ce qui ajoute à la tension déjà palpable.

— Tu sais, reprend-il après une longue pause, parfois les rêves révèlent des réalités cachées, des vérités enfouies. Peut-être devrais-tu enquêter davantage, parler à Samael... ou à Laelynn directement.

Ses paroles me traversent comme une lame de rasoir, me déchirant entre le désir de confrontation et la peur de ce que je pourrais découvrir. Mon esprit est un champ de bataille, chaque pensée dans un conflit incessant. Je bois encore, cherchant à apaiser les tourments qui m'habitent. Le liquide ambré ne m'apporte qu'un bref répit, une illusion de paix qui s'évanouit aussitôt le verre posé.

Je regarde Klark, espérant peut-être entrevoir une solution dans ses yeux. Mais tout ce que j'y trouve, c'est mon propre reflet, un visage marqué par l'angoisse et la confusion. Ses mots résonnent en moi, ébranlant mes certitudes.

Le silence se réinstalle, pesant, ponctué seulement par les bruits extérieurs atténués par les épais murs de la maison. Klark allume une nouvelle cigarette, ses gestes mesurés contrastant avec le tourment qui m'habite.

— Tu sais, commence-t-il d'une voix calme, Laelynn a toujours été une âme sensible. Les gens comme elle ressentent les choses plus profondément. Peut-être que ces bleus, ces cauchemars, sont des manifestations de quelque chose de plus sombre, quelque chose qu'elle ne peut pas affronter seule.

Je bois encore une gorgée de whisky, laissant ses paroles s'enfoncer dans mon esprit. Chaque mot semble ouvrir une nouvelle perspective, une nouvelle possibilité que je redoute d'explorer. Peut-être que Laelynn... peut-être qu'elle vit quelque chose de plus terrible que ce que j'imagine. C'est une pensée terrifiante, mais je ne peux plus l'ignorer.

Finalement, je cède à la voix de la raison. Je dois savoir. Je dois parler à Laelynn, obtenir des réponses, même si cela implique de réveiller des démons endormis.

Je me lève, chancelant légèrement, et pose une main incertaine sur l'épaule de Klark.

— Merci, murmuré-je, sentant un léger réconfort dans sa présence silencieuse.

Il incline légèrement la tête, un signe de respect mutuel qui me réchauffe un peu malgré le froid qui semble s'être installé en moi. Ma tête est remplie de doutes et de sombres prémonitions, une inquiétude sourde et tenace commence à s'installer en moi. Les questions qui tourmentent mon esprit ne se limitent plus seulement à Laelynn et à ses mystérieux cauchemars. Une angoisse plus profonde s'infiltre, une vérité enfouie que je redoute de découvrir.

Ainsi, alors que la maison plonge dans un silence oppressant, je gravis les escaliers en quête de réponses, une ombre de crainte me suivant pas à pas. La nuit, lourde de mystères, semble avoir encore bien des révélations à livrer.

Emprise infernale [ TERMINÉE en réécriture ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant