Prologue

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Le risque était son exutoire, la poussée d'adrénaline, une dépendance. Le rugissement de la motoperçait le silence de la campagne bavaroise comme un tonnerre vibrant sur le fin ruban d'asphalte. À travers le casque, les yeux concentrés sur la route qui s'étirait devant lui, le pilote engloutissait le paysage dans une déferlante d'émotions pures. Tout de cuir noir vêtu, son corps semblait fusionner avec la puissante machine, un prolongement mécanique de son être.

La vitesse aiguillonnait le monde autour de lui, le réduisant à une série de formes et de couleurs floues qui s'entremêlaient de manière étourdissante. Dans ce ballet dangereux,chaque figure devait être exécutée avec une parfaite précision pour ne pas finir en désastre. C'était ce risque calculé qui le faisait se sentir plus vivant que jamais, chaque décision prise en une fraction de seconde étant la différence entre le panache et la chute.

Comme une flèche lancée par un archer céleste, sa Steinman de 210 chevaux fendait l'air, ses pneus mordant le bitume avec gourmandise. Les virages s'enchaînaient avec désinvolture, pris à une allure défiant les lois de la physique. Plus rien n'existait en dehors de ce moment. Pas de passé. Pas de futur. Seul le présent comptait.

Pourtant, la transe du motard fut soudainement brisée. Un éclair d'un blanc pur traversa son champ de vision : une enfant, les cheveux au vent, les bras tendus vers un ballon échappé, courait insouciante sur la route d'un village champêtre. Dans un réflexe instantané, le pilote vrilla son corps et actionna les freins avec maîtrise. La moto se cabra, glissa, dérapa en un ballet contrôlé, aussi dangereux que gracieux.

La petite fille, figée d'incompréhension, n'eut pas le temps d'éprouver de la peur.

L'instant d'après, le spectre de cuir et de métal s'était évaporé, laissant derrière lui un hurlement mécanique et une bouffée d'air qui fit frissonner la vague des hautes herbes. Le rythme cardiaque du pilote se calma bientôt. Le regard implacable, il reprit sa course de plus belle.

Les kilomètres défilèrent alors que la machine roulait à tombeau ouvert. Inconsciemment, le motard devait commencer à se lasser d'un paysage noble, mais un peu monotone, lorsque, soudain, il vit au loin la silhouette spectaculaire d'un bâtiment gigantesque qui se détachait à l'horizon, tel un monolithe industriel émergeant de la terre.

Il s'agissait de sa destination. Suivant le large chemin privé qui y menait, il finit par arriver devant la barrière marquant l'entrée de l'entreprise. La sécurité était visible et austère, elle se composait de trois gardiens déterminés qui surveillaient le flux des allées et venues. Le pilote s'arrêta à la ligne de démarcation, la moto émettant un dernier râle rassurant avant de s'immobiliser complètement.

Un des hommes s'avança, le regard scrutateur dissimulé derrière des lunettes de soleil. Il s'adressa rudement au nouvel arrivant, véritable chevalier de cuir noir à l'allure impénétrable :

– Veuillez vous identifier, monsieur.

Le motard souleva la visière de son casque. Il fixa l'agent de sécurité et prononça un simple mot : "Pereira".

Immédiatement, quelque chose changea dans l'attitude du garde. Son aplomb devint déférence. Sans en demander plus, il actionna le levier de contrôle, déclenchant automatiquement la levée de la barrière. Sortant rapidement un téléphone de sa poche, il dit, tout excité, à son interlocuteur :

–Pereira ! Pereira est arrivé.

Le deux-roues se dirigea tranquillement vers la grande tour fierement identifiée en son sommet par un immense panneau "Steinman". Cela ne prit que quelques instants.

La machine fit halte devant un aréopage d'hommes d'affaire qui se tenaient alignés sur le perron. Leur maintien formel et leurs costumes soignés évoquaient une réception officielle, digne de celle d'un chef d'État. Ils attendaient...

Je t'aurai au tournantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant