Chapitre 24

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Mercredi 1er septembre,

Quatre jours avant le drame

Toujours accompagnés de leurs porteurs, Hermann et Faby traversèrent ensemble le somptueux hall de l'hôtel avec une aisance qui trahissait leur appartenance au monde de l'élite, tandis que des murmures de reconnaissance se faufilaient parmi les regards envieux. Ils se présentèrent à l'accueil et l'hôtesse, enchantée de retrouver des figures si prestigieuses, leur fit des courbettes avant de leur remettre leurs clés. Chacun ayant sa propre suite, ils se séparèrent à l'étage après moult mots aimables.

Le lieu luxueux qu'occupait Faby était digne des pages d'un magazine de décoration. Elle caressa le bois des meubles élégamment ouvragés, admira les tissus magnifiques et profita quelques instants de la vue imprenable sur le panorama verdoyant des Ardennes belges. Désireuse de se détendre, la belle se dirigea vers la salle de bain en marbre. Elle ouvrit les robinets de la baignoire, les laissant répandre une cascade d'eau chaude qui se fraya un chemin entre les pétales de rose qui flottaient à la surface.

On frappa, Faby alla voir et demanda :

– Oui ?

– C'est moi ! souffla une voix qui réussissait l'exploit de crier à voix basse.

Elle entrouvrit la porte et vit son amoureux :

– Hermann, dit-elle en le regardant, embarrassée. Je ne sais pas si c'est très sage.

– Je te promets d'être sage, justement, répondit-il.

– Dans ce cas...

Elle fit un pas en arrière et ouvrit en grand, permettant à Hermann d'entrer. Celui-ci avança silencieusement, aussi sérieux que s'il pénétrait dans une église.

Faby l'observait attentivement, évaluant son état d'excitation, quand il s'arrêta soudain, se tournant vers elle avec une expression grave, mais douce. Il tenait en main une boite, qu'elle jugea un peu trop volumineuse — hélas — pour contenir une bague de fiançailles.

Le suspens ne fut pas bien long. Il lui tendit l'objet en disant :

– C'est pour toi.

Elle s'en saisit, l'ouvrit et en sortit les gants de moto, la fameuse paire abandonnée sur le sable dans ce bar de plage de la banlieue de Nassau.

Faby les prit dans ses mains. C'était prégnant, lourd de sens et de souvenirs. Elle aurait presque préféré qu'il les garde secrètement.

– Assieds-toi Hermann, dit-elle en lui désignant un confortable canapé. On va parler un peu, si tu veux.

– Je pense que tu sais l'essentiel, avoua-t-il en prenant place.

– Tu veux boire quelque chose ?

– J'ai assez bu.

Effectivement, Hermann avait abusé de l'alcool, durant la réception à l'aéroport. Il n'était pas bien. Ce n'était plus le séduisant play-boy de Nassau, il était devenu fragile, inquiet, presque mal dans sa peau. Elle savait bien que c'était elle qui l'avait mis dans un tel état. Et curieusement, cela ne la satisfaisait pas. Elle en avait même mauvaise conscience.

Elle s'assit à ses côtés et posa sa main sur les siennes :

– Je suis avec toi, Hermann ! lui dit-elle.

– Oh, Faby !

Sa voix se brisait tandis qu'il retenait avec peine les sanglots. La jeune séductrice n'en revenait pas : dans ses pires scénarios, elle n'avait pas envisagé une telle hypothèse.

– Que t'arrive-t-il, Hermann. Tu sais que tu peux tout me dire.

– Faby, c'est infernal. Depuis que j'ai découvert la vraie vie avec toi, j'ai... À nouveau, il se retint de pleurer.

– Oui ?

– J'ai enfin compris que ma vie ne vaut rien, que mon destin est tracé d'avance, que ma famille me contrôle, qu'on me pousse vers un mariage d'intérêt qui vise à relier deux géants de l'industrie. J'ai aussi compris que je ne serais jamais heureux avec une femme aussi bigote et mesquine que cette Christine de Nevers. Une existence sinistre m'attend... Alors que si j'étais avec toi...

– Si tu ne veux pas épouser Christine. Il te suffit de renoncer à ce mariage. Après, tu seras libre de vivre...

– Mes parents ne l'accepteront jamais.

Faby fut vraiment surprise, choquée. Elle changea de face. Son air bienveillant s'effaça pour laisser place à une colère sourde.

– Je croyais t'avoir tout dit.

– Comment cela ?

– Tu es maître de ton destin. Tu dois chercher ce qui te rend heureux. Ce n'est pas honnête de faire porter le chapeau à ta famille ; et encore moins à Christine. Ils ne sont pas les vrais coupables. Le premier responsable, je regrette de devoir te le dire, c'est toi !

– Qu'est-ce que tu me racontes ?

– C'est pourtant simple, Hermann. Tant que tu diras « oui », alors que tu penses « non », tu seras malheureux.

– C'est compliqué. J'ai toute la pression sur mes épaules et je ne veux pas décevoir ma famille.

– J'avais compris. Mais tu la décevras bien plus en les écoutant trop et en faisant les mauvais choix. Si tu rates ton mariage, tu deviendras quoi ? Un aigri ? Un drogué ? Un mari battu ? Ça ne plaira pas non plus à ta famille de te voir foirer ta vie.

– Oui, je te suis. Mais, en fait, j'ai peur.

– C'est peut-être ce qui nous différencie Hermann. Si j'avais peur, je ne serais nulle part. Je le répète, il faut aller vers ce qui nous rend fort, ce qui nous équilibre, ce qui nous convient.

– Tu es une championne Faby. J'ai... J'ai l'air fort, mais je n'existe p...

Cette fois, il éclata en sanglot, désespéré de ses propres faiblesses. Faby elle-même était bouleversée, mais elle savait surtout que le moment devenait crucial, que le fruit était mûr, prêt à tomber entre ses dents. Elle le serra dans ses bras, sans dire un mot, telle une véritable amie. Elle devenait ainsi l'âme sœur, la confidente, la protectrice... et – sans jamais le proclamer – se positionnait comme le seul et ultime recours. C'était le meilleur des messages, car l'essentiel était déjà dit : S'il la voulait, il faudrait qu'il s'affranchisse de sa famille et... qu'il aille vers elle.

« Pleure mon petit Hermann, pleure, pensa-t-elle. » La soirée risquait d'être longue, finalement. Sans sexe. Sans séduction. Sans artifice. Juste donner un peu de tendresse et peut-être un zeste d'amour sincère.

Sincère ? Peut-être, peut-être pas. Elle ne le savait pas elle-même. Elle était décue de le voir comme ça. Si faible. Ce n'était pas comme ça qu'elle le voulait.

Dieu que la vie était compliquée...

Je t'aurai au tournantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant