Chapitre 20

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La nuit commençait à envelopper Munich de son voile opaque lorsque la motarde bardée de cuir, Faby Pereira, fit vrombir son deux-roues à travers les rues de Milbertshofen-Am Hart. La lumière vacillante des réverbères jetait des ombres dansantes sur la silhouette de la nerveuse machine. Cette dernière, si rutilante, tranchait dans le décorum déprimant : les rares passants se traînaient dans les rues, têtes baissées, et les façades des bâtiments se dressaient comme de monstrueux géants de béton, nés d'une reconstruction d'après-guerre plus fonctionnelle qu'esthétique.

C'est donc en sillonnant ces rues sinistres et parfois redoutées, si peu représentatives de la joie et de la douceur de vivre munichoise, que la moto finit par trouver le lieu exact de sa destination : un immeuble gris identique à tant d'autres immeubles gris du même quartier.

Faby s'y gara, retira son casque et avisa une bande de jeunes garçons qui semblaient s'adonner au commerce des substances illicites. Avec l'audace et l'arrogance qui faisait sa marque, elle frictionna quelques billets sous leur nez, les enjoignant de veiller sur son précieux deux-roues.

– Ouah, trop kifante ! Z'etes Faby, Faby Pereira !

– Peut-être. Mais retenez surtout que la moto est sous alarme, affirma-t-elle pour leur enlever toute mauvaise idée.

– Vous z'habitez ici, madame ? Madame !?

Sans prêter attention à l'agitation qu'elle leur causait, elle se détourna pour entrer dans l'édifice, les types fixant intensément sa belle silhouette de motarde qui disparaissait dans les murs.

Les portes grincèrent sur leurs gonds usés et une odeur de renfermé saisit l'aventurière au moment où elle pénétrait dans le hall, éclairé par un néon vacillant.

Constatant que l'ascenseur était HS, elle monta à pied. Ses pas résonnèrent dans l'escalier défraîchi. La désolation et le sordide dominaient l'endroit.

Au cinquième étage, à droite, Faby se planta devant la porte sur laquelle était griffonnée "Edna Jäger". En l'absence de sonnette, elle leva la main et frappa fermement. Un silence pesant suivit avant que la porte ne s'ouvre avec une lenteur qui aurait pu être intentionnelle. Derrière le chambranle tremblotant se tenait Edna Jäger, la veuve de Max, que le temps et les circonstances semblaient avoir ravagés. Elle affichait néanmoins un air fort intéressé : prévenue quelques heures plus tôt par un appel téléphonique de Faby, la vieille avait promis d'ouvrir sa porte en cas de rétribution.

– Je vous reconnais : Vous êtes Lisbeth Salander, la fille de "Millénium" ! déclara-t-elle avec une assurance qui échappait à toute logique.

Faby acquiesça de la tête et pénétra à l'intérieur.

– Vous avez bien fait de baiser votre tuteur ! s'exclama la vieille. À votre place, je l'aurais carrément égorgé !

– M'ouais... J'ai pas fini le travail, admit Faby. Ça finira peut-être comme ça.

Elle sortit les billets promis que la vieille lui arracha presque des mains.

– Donnant-donnant, dit Faby en la pointant du doigt. Je veux mes renseignements.

– Je vous répondrai, si je peux.

– Ok ! D'abord, une première chose : votre mari s'est défenestré il y a près de 50 ans, que faut-il en penser ? C'était un suicide ?

– C'est ce qu'a prétendu la police. Sauf que c'est faux ! Max n'avait aucun trouble mental et aucune envie de mourir.

– Croyez-vous... qu'on l'ait aidé à sauter du 5e ?

– Mais bien sûr !

– Pourquoi l'aurait-on tué ?

– Ça, je ne sais pas. Et je ne veux pas forcément le savoir. L'ignorance, c'est parfois bien protecteur.

Je t'aurai au tournantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant