Chapitre 9

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C'était une belle fête chez Steinman. Elle se déroulait un soir de mai dans la cour de l'entreprise, au pied de la tour aux 30 étages. Sur une estrade, des danseurs folkloriques bavarois en culottes de cuir frappaient leurs chaussures et leurs cuisses au rythme de la musique traditionnelle, sous les applaudissements d'une foule internationale élégante, curieuse et captivée. Parmi elle, le beau Gregor, dans un spectaculaire costume rouge foncé, participait avec enthousiasme, essayant de reprendre les pas de danse, les sauts et les claquements de main des professionnels du schuhplattler. Ses tentatives étaient plus comiques qu'harmonieuses, mais elles ajoutaient à la gaieté ambiante, les rires éclatant plus forts à chaque nouveau faux pas.

Au-delà de cette fantaisie folklorique, le faste de la soirée se manifestait par la présence des grands chapiteaux immaculés, dressés spécialement pour l'événement. À l'intérieur, des lustres en cristal suspendus brillaient de mille feux, tandis que de délicates guirlandes lumineuses couraient le long des parois pour créer une atmosphère féerique.

Les tables, somptueusement apprêtées, annonçaient déjà le festin royal à venir. Dans l'attente de ce grand moment, une cascade de hors d'œuvres s'offrait aux invités, les petits fours savoureux se mêlant aux conversations chics ou aux éclats de rire contagieux.

Bien sûr, le champagne, le vrai, était de sortie, les coupes scintillant presque autant que les sourires Colgate des convives. Tout le monde se sentait bien... d'autant plus que les toasts portés dépassaient le cadre du cordial ou de l'amitié ; ils constituaient les fondements de partenariats fructueux, de réussites communes et d'aspirations partagées.

Oui, c'était une belle fête chez Steinman...

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– Champagne, monsieur ?

– Non, bière... Une Weizenbock, bitte.

Ce choix était un peu choquant, mais le serveur acquiesça et s'éloigna pour honorer la commande.

Cet homme qui avait décliné un si bon champagne de la côte des Blancs, c'était Matthew Cable, aussi connu pour ses prouesses d'ingénieur que pour ses bourdes stratégiques en course. Ce soir-là, il semblait avoir une préférence marquée pour les plaisirs houblonnés. Tenant en main sa pinte, il penchait légèrement, soit à droite, soit à gauche, un sourire évasif trahissant son état d'ébriété avancé.

À l'abri des lumières vives, Rachel Crawford l'observait. Ses yeux vifs et perçants ne le perdaient pas de vue. Elle se mêlait aux autres invités, engageant parfois des conversations banales, mais son attention ne faiblissait jamais. Tapie dans l'ombre, elle étudiait sa cible qui était visiblement bonne à prendre dans cet état.

Finalement, elle se décida, traversa l'espace avec une grâce de glace, son regard hypnotique ne croisant celui de son chef que lorsqu'elle se retrouva à ses côtés.

– Matthew, lui dit-elle avec douceur, on pourrait discuter quelques instants à l'écart ?

Surpris, il acquiesça et la suivit. Ils trouvèrent refuge dans un coin déserté, loin des groupes et des oreilles indiscrètes.

– Tu m'inquiètes vraiment, Matthew. Qu'est-ce qui ne va pas ?

Elle le dévisagea, attendant clairement une réponse. Il finit par lâcher, d'un air dépité :

– C'est simple. Je suis sur la sellette, Rachel.

– Pardon ?

– Figure-toi que maintenant, c'est Stuart Gaguette qui mène campagne en haut lieu contre moi ! La direction en a marre, Brandauer pense que je suis nul, que je ne sais pas manager.

Je t'aurai au tournantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant