Je t'aurai au tournant

Chapitre 3

Sous un ciel incertain, une foule surexcitée et impatiente se massait autour du circuit de l'Albert Park. L'excitation était à son comble pour le premier Grand Prix de la saison.

Sur la grille de départ, en deuxième ligne, debout au côté de la Steinman de Faby, le jeune Gregor Bulgakov tenait un panneau sur lequel on pouvait lire : "Pereira, N°9". Il tentait de sourire bêtement, ce qu'il faisait excellemment. Ce mannequin russe de 18 ans à l'allure impressionnante, venait d'entrer dans l'arène, non pas pour concourir, mais pour captiver. Il était là pour le décorum, le premier grid boy de l'histoire, symbole nouveau du glamour et de la force.

Son tee-shirt blanc très court suscitait l'attention. Il paraissait sur le point d'exploser sous ses pectoraux surpuissants, taillés par d'innombrables séances de sport. Le short assorti qu'il portait était tout aussi affriolant et invraisemblable, raccourci au possible pour révéler non seulement la musculature de ses jambes et de ses cuisses, mais aussi pour attirer l'œil gourmand et... défier les conventions !

Car la présence du géant détonnait : il était le seul homme à tenir ce rôle aux côtés de toutes ces belles jeunes femmes en tenues légères qui posaient fièrement sur la grille.

Il n'était donc pas étonnant que son visage exprime une certaine appréhension, tandis que les caméras le scrutaient avec insistance. Appartenant au monde de la mode, Gregor était un habitué des podiums et des projecteurs, mais ici, cerné par la technologie de pointe des voitures de Formule 1 et la célébrité de ses pilotes, il devenait un objet. Il n'avait jamais été un élément de décor, et il luttait contre une étrange sensation, celle d'être devenu un artifice sexy, un joli tas de viande qui faisait office de hors d'œuvre avant que la bataille de vitesse ne s'enclenche.

C'est Faby Pereira qui avait martelé, quelques semaines plus tôt, le souhait d'avoir un grid boy à chaque épreuve. Il était le symbole vivant de sa volonté de briser les normes, de retourner l'image traditionnelle et de faire bouger les lignes dans un sport marqué du sceau de la masculinité. Sa demande avait surpris, provoqué des débats enflammés dans les hautes sphères, mais elle avait finalement été approuvée, considérée comme un coup de génie marketing susceptible d'étendre l'attrait de la Formule 1 vers de nouveaux horizons.

Les stratèges du milieu, savamment conscients de l'évolution des mentalités et de la nécessité de se renouveler, avaient accueilli la présence de Gregor comme un geste avant-gardiste. Le grid boy était devenu une pièce maîtresse de leur jeu, un effet de surprise qui pourrait se transformer en un coup de maître pour enrichir l'expérience des spectateurs et épicer l'image quelque peu rigide de la Formule 1.

Quoi qu'il en soit, Gregor était toujours aussi perdu et embarrassé. Il marmonnait de dépit sur la grille lorsque Faby fit son apparition, suivie d'une nuée de photographes et de journalistes accrédités. Elle s'avançait avec cette assurance et cette prestance qui faisaient déjà d'elle une vedette du paddock, une championne dont chaque mouvement, chaque regard était scruté, disséqué, voire fantasmé.

Arrivant sur Gregor qui se tenait droit comme un i, Faby ne lui accorda aucune salutation. Juste un bref coup d'œil moqueur. Sans un mot d'avertissement, elle drapa un bras autour de sa nuque épaisse, la puissante pression physique qu'elle exerçait le sommant silencieusement de se courber. Surpris, mais obéissant, le géant russe s'inclina légèrement, de sorte que leurs visages s'équilibraient presque, mais pas suffisamment au goût de la star.

– Penche-toi encore un peu, mon garçon, lui dit-elle doucement. Tu ne dois pas paraître plus grand que moi.

Gregor, étonné par cette demande peu conventionnelle, acquiesça néanmoins avec une bonne volonté toute professionnelle. Il s'efforça de réduire sa stature encore plus, donnant à son dos une posture que n'aurait pas renié le bossu de Notre-Dame.