Chapitre 10

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Chapitre 10

Ce matin-là, au lendemain de la fête Steinman, Stuart Gaguette était confortablement installé dans son luxueux lit trois places, une dimension indispensable pour un séducteur aimant la compagnie féminine.

Appuyé contre le sommier matelassé et quelques coussins, il tenait en main son ordinateur portable et visionnait le replay du discours de Faby sur le site internet de Steinman, passant en boucle cet effarant passage où elle disait : "le génie de notre ingénierie, la puissance de nos moteurs et le cran de la pilote ! " Cette fanfaronnade de sa rivale provoqua en lui une soudaine crispation de sa jambe droite, faisant voler les draps en satin argenté.

"Le cran de la pilote"... Normalement, devant toute l'assemblée réunie, elle aurait dû, au moins par bienséance, garder l'esprit d'équipe et dire « le cran des pilotes ». Mais non ! Elle s'en fichait, la garce ! De surcroît, juste après, elle insistait sur son pseudo rôle de Wonder Woman, seule et unique héroïne Steinman, avec son mégalomaniaque : "Oui, JE peux le faire ! Oui, JE vais le faire !".

Le message était clair : Stuart Gaguette n'existait plus. De façon méticuleuse et diabolique, elle l'avait effacé des tablettes, réduit en poussière. Elle semblait se délecter de le ridiculiser, voire de l'anéantir, le tout à la vue de tous.

C'était trop. Il se saisit de son iPhone et se mit en communication avec son agent, Robert Calander.

– Robert, je ne peux pas continuer comme ça. Chez Steinman, je vis chaque jour un cauchemar à cause de cette... de cette folle dingue ! Je veux que nous regardions ailleurs pour l'année prochaine. Je ne supporte plus de la voir, ni même d'entendre son nom, déclara-t-il d'une voix chargée d'émotion.

– Tu parles de Faby Pereira ?

– Mais putain, qui d'autre !? Shakira peut-être !?

Calander, d'un ton mesuré et plein de pragmatisme, tenta de calmer son client :

– Stuart, je comprends tout à fait ta colère, mais il faut être réaliste. Les places sont chères en Formule 1, et les décideurs veulent des résultats. Si tu veux partir et trouver un bon volant, tu vas devoir prouver ta valeur sur la piste. Cette année, tu es dans la meilleure écurie. Donc, il va falloir gagner des courses et montrer à tout le monde, y compris à Faby Pereira, ce dont tu es capable.

Gaguette serra les dents, réalisant que la route serait longue et ardue, mais les mots prononcés par son agent lui faisaient tout de même de l'effet. Effectivement, gagner — et donc battre Faby ! – s'avérait la meilleure solution pour inverser la tendance.

Après tout, c'était visiblement la guerre qu'elle cherchait cette nana, alors elle l'aurait. La guerre totale !

Gaguette se leva, décidé à préparer son entraînement physique quotidien. Déambulant dans les vastes couloirs ornés de marbre de sa somptueuse propriété, il salua les statues géantes des empereurs romains qui paraissaient répondre à son passage. Cependant, ce décorum ne le faisait plus rire. Il s'ennuyait dans ce gigantisme et s'y sentait même mal, se demandant si le luxe ne le sclérosait pas.

Sa marche triste fut bientôt interrompue par une vision surprenante. Passant devant le tapageur bar du salon, garni de boiseries sculptées et de miroirs biseautés, il découvrit une silhouette séduisante, mais inconnue, qui était installée sur un tabouret, au comptoir, et qui se sirotait un cocktail. C'était une vraie beauté, mais cela ne justifiait pas tout.

– Excusez-moi, mademoiselle, dit-il, mais... Qui êtes-vous ?

Surprise par cette arrivée impromptue, la fille aspira vivement une gorgée avec sa paille (des fois que le type lui prendrait le verre), puis elle lui répondit d'un air grincheux :

Je t'aurai au tournantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant