Chapitre 4

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L'hélicoptère filait à basse altitude, frôlant les eaux troubles. Ses hélices découpaient l'air, créant des tourbillons à la surface de l'Okeechobee, ce grand lac de Floride, et perturbant la flottaison des joncs, des nénuphars et des gros reptiles. À l'intérieur de l'appareil (un MBB Bo 105, le top de la maniabilité et de la robustesse), une atmosphère étrange, entre tension et surexcitation, était palpable.

Gregor, le jeune mannequin aux muscles saillants, s'accrochait à son siège, les yeux écarquillés comme des soucoupes à chaque manœuvre audacieuse du pilote. Son visage, étonnamment beau et doux pour un homme d'une telle carrure, était perlé de sueur, témoignant de sa peur évidente. Il n'avait pas l'habitude de ce genre de fantaisies : son terrain de jeu, c'était la salle de sport ou les studios photos, pas les cascades aériennes au-dessus d'un endroit aussi inhospitalier.

- Les bêtes ! s'exclama-t-il, affolé, en découvrant une famille d'alligators qui se partageaient avec appétit le cadavre d'une biche. Gregor pas aimer bêtes ! Danger ici ! Danger !

– On pourrait s'arrêter pour faire un petit coucou aux gentilles petites bêtes, répondit le pilote d'une voix sarcastique.

Le géant grimaça :

– Non, pas s'arrêter ! Pas s'arrêter !

– Pas de chance, coco, c'est un croco qui te conduit ! s'esclaffa l'autre.

Son rire était féminin. Oui, c'était bien une femme qui dirigeait l'appareil. Et malgré ses lunettes fumées de pilote et son casque, il était aisé de la reconnaitre : Faby Perreira, la nouvelle star des Grands Prix, l'allure toujours aussi arrogante, qui se régalait de voir son petit chéri du moment dans un tel état. Sa joie était glacée, voire cruelle. Elle aimait sentir ce frisson de pouvoir, de contrôle absolu. Ses manœuvres brusques étaient une danse de mort qu'elle maîtrisait à la perfection, un jeu de précision et de subversion. Elle ne ralentirait pour personne, et certainement pas pour Musclor-Gregor.

– T'inquiète pas, mon mignon. Ce n'est qu'un round de plaisir, ricana-t-elle.

Le MBB vira soudainement, provoquant un cri étranglé du passager. En dessous, d'autres alligators glissaient lentement sur l'eau, leurs yeux globuleux perçant la surface stagnante. Gregor se trouva presque nez à nez avec eux, tant l'hélico filait à ras du lac.

- Faby ! Non ! brailla-t-il d'une voix éraillée par la terreur.

La pilote remonta aussi sec, puis fit un looping, renversant tous les objets non fixés à l'intérieur. Le rire éclatant de la Brésilienne se mélangea aux cris de Gregor. Pour la reine des risque-tout, les réactions de panique de son petit ami n'étaient qu'un divertissement supplémentaire.

L'hélicoptère reprit ensuite une trajectoire plus calme, volant vers sa destination, tandis que Gregor récitait une prière orthodoxe, suppliant le ciel de le protéger des folies de sa maitresse.

**

Quelques minutes plus tard, le MBB ralentit progressivement alors qu'il s'approchait du Pappy Garett Gun Club, un stand de tir légendaire niché au cœur des marécages floridiens. Des projecteurs puissants illuminaient une zone d'atterrissage spécifiquement aménagée, permettant à Faby de discerner sans difficulté l'endroit où se poser.

C'est ce qu'elle fit en douceur, soulevant des volutes de poussière et de feuillage humide. Puis, elle coupa les moteurs et retira son casque, laissant ses longs cheveux noirs retomber autour de son visage délicat, mais implacable. Réajustant ses lunettes de soleil, elle jeta un coup d'œil amusé à son passager, toujours ébranlé :

– Nous sommes arrivés, Gregor ! s'exclama-t-elle. J'espère que tu as apprécié le vol !

À l'extérieur, un comité d'accueil de trois hommes et une femme attendait. Le club était fermé au public ce soir-là, spécialement réservé pour Faby Perreira et son acolyte. Pas de journalistes, pas de spectateurs, juste l'intimité et le bruit des grillons en toile de fond.

Je t'aurai au tournantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant