20 💎 Chasser la Solitude

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"L'amour se manifestait sous toutes ses formes. Parfois, même de simples mots pouvaient chasser la solitude."


ALEXIUS



Le silence dans lequel nous voyagions depuis deux jours était glacial. Entre les révélations, et le départ d'Elya, nous étions tous à bout de nerfs. Ezekiel ne m'avait pas adressé un mot. Seule Adélaïde tentait de briser la glace certaines fois, sans grand succès.

Je n'avais plus d'appétit et encore moins depuis que Sam refusait de me parler.

Ce soir là, nous avions fait un feu sur les falaises. Je savais que le lendemain, nous mettrions la main sur mon Saphir et je ne parvenais même pas à m'en réjouir. J'étais assis face aux flammes, les fesses dans l'herbe trempée et gelée et les jambes pliées, mes bras autour de celles-ci. J'étais hypnotisé par le feu, perdu dans mes remords et mes sombres pensées.

J'avais la sensation que notre amitié était brisée, que jamais plus Ezekiel ne saurait me pardonner. Je me sentais mal, ma culpabilité me tuait. Sur ce bateau, en chemin pour Novendill, la Déesse Nëphrëa me l'avait montré. Elle m'avait fait comprendre à quel point j'étais coupable.

Ezekiel s'était éloigné du camp, se baladant au bord de la falaise, là où le vent était plus fort et Adélaïde était tombée de sommeil. Ne restait plus que moi et Sam, qui s'assit non loin de moi. Il grelottait, souffla sur ses mains qu'il frotta entre elles avant de les placer près du feu.

— Plus nous avançons, et plus il fait froid, bougonna-t-il ses dents s'entrechoquant.

Je continuais de fixer les flammes, sans trop oser affronter sa rancœur.

— Le Saphir n'est plus très loin, en plus de maîtriser l'eau, il peut tout geler sur son passage, déclarai-je. C'est pour cela que tu as de plus en plus froid.

— Vous les Gardiens, vous êtes drôlement conçus... à ne craindre ni la chaleur ni le froid.

— Nous le supportons mieux, c'est tout, marmonnai-je.

En partie à cause de tout ce que nous avions subi enfants. Mais cela, Sam n'était pas obligé de le savoir. Je supposais d'ailleurs qu'il s'en fichait pas mal de mes histoires.

— Je suis désolé qu'Elya ait voulu partir seule, tentai-je après un long silence.

Nous ne parlions pas trop fort pour ne pas réveiller Adélaïde. Je me sentais brisé à l'intérieur, encore plus que lorsqu'Aude était morte. Je me sentais infiniment seul, plus que jamais, ma solitude me tuait à petit feu.

— J'espère simplement que tout va bien pour elle, soupira Sam en gardant ses mains au dessus du feu.

— Elle a des pouvoirs que personne n'a jamais eues, je suis persuadé que ça va pour elle.

Je sentis son regard sur moi, malgré l'obscurité et la simple lueur des flammes.

— Pourquoi lui avoir menti comme vous l'avez fait ? pesta Sam.

Je fermai les yeux, me pinçai les lèvres. Mon cœur repartit de plus belle.

— Quel espoir avions-nous ? soufflai-je en lui jetant un regard. Nous n'avions plus nos gemmes depuis si longtemps et après le carnage que ce fut que de nous battre contre le Nécromancien il y a cent cinquante ans... nous ne souhaitions pas qu'elle nous pense faibles. Nous ne souhaitions pas non plus qu'elle nous tourne le dos par manque de confiance. Elle était si apeurée quand elle a été désignée Guide. Qu'aurais-tu fais, toi, à notre place quand tu sais que le seul espoir de sauver ce Royaume que nous avons condamné par notre orgueil, c'est nous et elle ?

Sam détourna son regard un instant, l'air pensif. Il baissa ses mains qu'il cacha dans son manteau pour les garder au chaud.

— Jamais nous n'avons eu l'intention de refaire cette erreur. Jamais nous n'avons eu l'intention de sacrifier Elya. Nous l'apprécions comme l'une des nôtres. Nous aimions Léane aussi et nous avons été faibles. Désespérés, nous n'avons pas trouvé d'autres solutions et nous étions programmés ainsi. L'Ordre nous disait de faire quelque chose et nous le faisions mais ce temps là est révolu. Nous sommes libres de penser. Nous avons tourné le dos à ceux qui nous ont conçu pour sauver Elya. Alors dis-moi Sam, est-ce que tu es capable de nous faire confiance ?

Il plongea de nouveau ses yeux noisettes dans les miens. Ses cheveux roux étaient immaculés ainsi à la lumière du feu. Il était bel homme et je me sentais bien près de lui. Je l'appréciais bien plus que je ne l'espérais. Sa chaleur et sa douceur m'avaient plu. Mais il s'était éloigné en clignement de cils.

— Mais tu as aimé cette femme... marmonna-t-il en baissant la tête.

— Oui, mais c'était il y a si longtemps.

Je me rapprochai légèrement de lui puis lui donnai un faible coup d'épaule pour qu'il me regarde à nouveau.

— Ne me blâme pas. Je sais que tu as été amoureux d'Elya.

— Mais ça, c'était avant de te rencontrer, avoua Sam.

J'esquissai un faible sourire, je crois même qu'il n'était pas perceptible dans l'obscurité. Cette simple phrase remonta mon estime et réconforta mon ego. Peut-être ne me détestait-il pas et peut-être alors que tout n'était pas perdu et que je n'étais pas de nouveau seul. Il ne me manquait plus qu'Ezekiel et Elya, pour enfin me sentir au complet.

Je pris la main glacée de Sam dans la mienne, plongeant dans son regard bienveillant, je m'y perdis mais m'y sentis chez moi à la fois. J'avais tellement batifolé durant toutes ces années, dans l'espoir d'oublier mon cœur brisé que je ne m'étais pas rendu compte à quel point il était bon de se sentir apprécié.

— Merci, Sam, déclarai-je sans le lâcher du regard. Merci d'être aussi bon avec moi.

Il passa ses doigts entre les miens et serra ma main.

— Ne me fais pas regretter ce choix, rétorqua-t-il. Ne mens plus jamais comme tu l'as fait.

— C'est promis.

Je tenais toujours mes promesses. 

Jamais plus je ne comptais faire cette erreur et jamais plus la Déesse des Océans et de la Culpabilité ne pourrait s'en prendre à moi. Je me libérais, pas à pas, de ce sombre nuage qui embrumait mon cœur et pourrissait ma vie. 

Je voyais en Sam, toute la rédemption que j'attendais depuis si longtemps. 

Les Derniers Gardiens : II - La Voie du SaphirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant