Une colocataire improbable

Chapitre 39

Le Poids du Silence

Londres, une ville immense et implacable, s'étendait sous un ciel lourd de nuages gris. L'agitation quotidienne battait son plein, mais pour certains, le temps semblait s'être figé deux ans auparavant, au moment où un homme avait sauté du toit de St. Bart's, emportant avec lui bien plus que sa propre vie. Pour John Watson, la capitale britannique n'avait jamais été aussi silencieuse, malgré le tumulte de ses rues, et pourtant, il continuait à avancer, à reconstruire ce qui pouvait l'être. Mais la reconstruction n'était jamais complète, et des morceaux manquaient toujours.

Il marchait d'un pas lent, absorbé par ses pensées, alors qu'il traversait Marylebone. L'ombre de Sherlock Holmes ne cessait de planer sur lui, même deux ans après sa mort. John était devenu une version différente de lui-même : toujours courageux, toujours humain, mais marqué par une tristesse profonde qui ne se dissipait jamais vraiment. C'est Mary qui l'avait sauvé du gouffre, sa douceur et sa détermination avaient réussi là où les années de service militaire avaient échoué. Ils vivaient ensemble maintenant, partageant une petite maison douillette. Leur relation était un phare dans la nuit, mais il y avait encore des zones d'ombre que Mary ne pouvait atteindre, des parts de lui-même que John gardait enfouies.

Aujourd'hui, pourtant, il avait décidé de sortir seul, de prendre un peu de distance avec cette routine qui l'étouffait parfois. Ses pas le menèrent sans qu'il y pense vraiment à ce petit café niché dans une rue étroite de Camden, un lieu qu'il avait autrefois fréquenté avec Sherlock, et plus rarement avec Émilie. Ce café, malgré son allure modeste, avait une atmosphère apaisante, presque réconfortante. Les murs étaient tapissés de livres anciens, et l'air y était empli du parfum envoûtant du café fraîchement moulu.

Alors qu'il poussait la porte, une petite cloche tintinnabula, et John sentit une vague de nostalgie l'envahir. À l'intérieur, le café était tel qu'il se le rappelait, intime et chaleureux. Il balaya la salle du regard et son cœur fit un bond lorsqu'il aperçut une silhouette familière, assise à une table dans un coin. C'était Émilie.

Elle était là, seule, recroquevillée dans une chaise, les yeux fixés sur un livre qu'elle ne semblait pas vraiment lire. Ses cheveux noirs, légèrement ondulés, encadraient son visage pâle, et ses yeux, autrefois si vifs, paraissaient maintenant ternes, comme éteints. Elle portait un pull ample, d'un vert émeraude qui tranchait avec la pâleur de sa peau. Ses doigts, fins et délicats, jouaient nerveusement avec les pages du livre. John hésita un instant avant de s'approcher. Il n'avait pas vu Émilie depuis des mois, peut-être même plus d'un an. Ils avaient gardé contact après la mort de Sherlock, mais avec le temps, leurs échanges étaient devenus sporadiques, de simples messages de courtoisie ou des silences prolongés.

— Émilie ? dit-il doucement, craignant de la surprendre.

Elle releva la tête brusquement, comme sortie d'un rêve. Ses yeux se posèrent sur lui, et pendant un instant, il lui sembla qu'elle ne le reconnaissait pas. Puis, lentement, une lueur de reconnaissance apparut dans son regard, et elle esquissa un faible sourire.

— John... je ne m'attendais pas à te voir ici, murmura-t-elle d'une voix presque inaudible.

John se sentit soudainement maladroit. Il s'assit en face d'elle, notant les cernes sous ses yeux, les fines rides d'expression qui commençaient à marquer son front. Émilie n'était plus la jeune femme qu'il avait connue, celle qui arpentait les rues de Londres avec Sherlock, animée par une soif de connaissance et un désir de justice. Quelque chose en elle s'était brisé ce jour-là sur le toit de St. Bart's, et John se demanda s'il restait encore assez de cette ancienne Émilie pour la sauver.

— Tu es belle, dit-il maladroitement, cherchant à briser la glace. C'était un mensonge, ou peut-être une vérité partielle. Elle l'avait été, d'une manière subtile et intense, mais aujourd'hui, sa beauté semblait fanée, comme un souvenir lointain.