Chapitre 27

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Trois semaines plus tard... 12 septembre.

C'est la rentrée. Rien que ce mot fait monter en Nelly une vague d'anxiété. Le stress est palpable, un poids qui lui pèse sur la poitrine. Elle déteste être en retard, et pourtant, malgré sa méticuleuse organisation, elle a l'impression que le temps lui file entre les doigts. Comme chaque année, elle se lève bien plus tôt que nécessaire. Son cerveau ne lui laisse pas le choix, un automatisme construit à force de jongler entre ses rôles de mère, d'enseignante et de femme. Elle s'habille rapidement, mais avec soin, enfilant un pantalon noir simple et une chemise légère. Chaque geste est contrôlé, calculé, mais l'inquiétude ne la quitte pas.

Un petit-déjeuner express, juste assez pour lui donner l'énergie de la journée. Puis, elle passe rapidement en revue la maison, s'assurant que tout est en ordre avant de déposer son fils à la crèche. Après avoir laissé Louis, Nelly retourne dans sa voiture et s'accorde enfin cinq petites minutes pour souffler. Elle inspire profondément, son regard fixé sur le volant, se demandant si elle a vraiment la force de gérer tout cela. Une étoile montante du théâtre, capricieuse, à ses côtés pendant six mois... Comment va-t-elle réussir à supporter ça ? Elle secoue la tête vigoureusement, comme pour chasser ces sombres pensées. Non, elle ne se laissera pas dévorer par l'appréhension. Elle relance le moteur, prête à affronter la journée.

Le temps s'étire lentement, presque cruellement, comme si chaque minute était une épreuve à surmonter. Elle s'attelle aux tâches ménagères, tente de s'avancer sur l'administratif de la maison, mais ses pensées ne cessent de vagabonder vers l'atelier de ce soir. Son ventre se noue à l'idée de rencontrer son boulet... enfin, celui qu'elle devra se coltiner quelques temps. Elle tente de faire l'impasse sur son nom.

Comme s'il n'avait pas pu en choisir un autre, soupire-t-elle exaspéré.

Enfin, l'heure approche. Nelly monte dans sa petite voiture verte, son cœur battant à un rythme soutenu. Une boule d'angoisse se forme dans sa poitrine, et elle serre le volant un peu plus fort que nécessaire. Direction le théâtre. Le moteur ronronne doucement, mais dans sa tête, tout se bouscule. Ses pensées s'entrechoquent, elle tente de rester concentrée, mais l'ombre de cette collaboration imposée avec Jonas Dupré hante ses réflexions. Un acteur célèbre dans son atelier, dans son espace. Comment vont-ils travailler ensemble ? Elle a toujours été indépendante, fière de la manière dont elle gérait ses cours seule.

Elle se gare devant le bâtiment aux grandes portes rouges qu'elle connaît si bien. La lumière du début de soirée s'étire doucement, projetant de longues ombres, tandis que l'air frais de septembre se faufile par les fenêtres entrouvertes. Elle sort de la voiture, son sac à l'épaule, et marche vers l'entrée. Ses pas résonnent sur le gravier, amplifiés par le silence environnant.

Lorsqu'elle pousse les portes du théâtre, une vague de nostalgie l'envahit. L'endroit est calme, désert, presque apaisant, comme une bulle de tranquillité avant le tumulte. Les murs respirent encore le silence de l'été, celui des rires envolés et des voix qui n'ont pas encore repris leurs impulsions passionnées. Elle aime ce moment particulier, ce calme avant l'effervescence des cours. Ici, elle est dans son élément. Les odeurs de bois vieilli et de vieux rideaux de velours flottent encore dans l'air, et pour un instant, elle se sent chez elle, comme si le théâtre lui appartenait.

Il lui reste une bonne demi-heure avant l'arrivée des élèves. Elle dépose son sac sur une chaise et se met rapidement au travail, préparant minutieusement la salle. Les chaises sont disposées en arc de cercle autour de la scène, les projecteurs légèrement ajustés pour créer l'ambiance idéale. C'est un rituel qu'elle a peaufiné au fil des années. Chaque détail compte, chaque geste est réfléchi. Elle prend une inspiration profonde, espérant que tout se passera bien. Elle jette un œil à la liste des inscriptions sur son bureau. Ses doigts glissent rapidement sur le papier, son regard s'attarde sur les nouveaux noms. Beaucoup de visages inconnus cette année, et elle devine pourquoi. L'effet Dupré. Sa mâchoire se crispe à cette idée. Les inscriptions ont grimpé en flèche dès que la rumeur s'est confirmée. Elle soupire, agacée. C'est certainement flatteur pour lui, mais pour elle ? C'est un affront.

Elle sait qu'elle est parfaitement capable de gérer son atelier seule. Elle l'a prouvé à maintes reprises. Les élèves reviennent toujours avec enthousiasme, et elle a vu plusieurs d'entre eux s'épanouir au fil des ans, de jeunes talents brutaux qu'elle a façonnés avec patience. Alors pourquoi la direction a-t-elle jugé bon de lui imposer un acteur célèbre ?

Ses pensées tourbillonnent, la ramenant à des moments où elle a dû se battre pour prouver sa valeur, pour se faire une place dans ce monde exigeant. Son esprit s'emballe. Une vague d'incertitude la submerge. Et si elle n'était pas à la hauteur ? Si l'influence de Jonas Dupré prenait le dessus, la rendant insignifiante dans son propre atelier ? Elle secoue la tête, chassant cette pensée. Non. Elle refuse de se laisser diminuer par la présence d'une célébrité.

Elle parcourt encore une fois la liste des noms, cette fois avec une détermination nouvelle. Ces élèves sont venus pour apprendre. Que ce soit pour Jonas ou pour elle, qu'importe. Ils sont là, et elle leur montrera qui elle est, ce qu'elle peut offrir. Elle a toujours fait cela, et elle continuera. Aucun acteur arrogant ne changera cette dynamique. Un sourire se dessine sur ses lèvres. Oui, cette année sera différente, mais pas à cause de Jonas Dupré. Parce qu'elle va relever le défi, et elle le fera avec brio.

Soudain, trois coups secs sur la porte la font sursauter. Son cœur manque un battement et elle relève la tête, surprise. Un homme se tient dans l'embrasure de la porte, sa silhouette coupant la lumière du couloir. Magnifiquement sculpté, son tee-shirt gris moulant met en valeur des muscles finement dessinés, tandis que son jean noir parfaitement ajusté souligne une démarche assurée. Nelly retient un soupir quand son regard grimpe, cherchant ses yeux : Elle ne trouve qu'une paire de lunettes noires. Un sourire narquois effleure ses lèvres. Le voilà. Jonas Dupré en personne, et il a déjà l'air de se croire irrésistible. Parfait. Elle n'est vraiment pas d'humeur à se laisser impressionner.

— Bonjour, je peux vous aider ? lance-t-elle avec une pointe d'ironie, décidée à jouer les ingénues.

Elle sait parfaitement qui il est, mais elle n'a pas envie de lui faciliter la tâche. S'il s'attend à un tapis rouge, il peut tout de suite oublier.

L'homme marque une brève hésitation, semble décontenancé. Puis, il se reprend, s'appuie sur le dossier d'une chaise et déclare :

— Je suis Jonas Dupré.

Nelly lève un sourcil, feignant la perplexité.

— Oui, et ? demande-t-elle, son ton volontairement distant.

Elle le voit déglutir, comme s'il ne s'attendait pas à ce genre de réaction. Ce petit moment de doute chez lui la fait intérieurement sourire. Elle l'intimide, et elle adore ça.

— Je... j'ai été embauché pour les six prochains mois, balbutie-t-il.

— Embauché ? Vous êtes payé ? réplique-t-elle d'un ton sec.

Elle le regarde avec un mélange de surprise et de mépris à peine voilé. La tension monte, palpable. Jonas semble chercher ses mots, essayant de comprendre ce qu'il vient de déclencher chez elle. Nelly savoure ce petit instant de pouvoir, bien décidée à lui montrer que, ici, il est sur son territoire.

— Vous êtes toujours aussi agressive ? l'interroge-t-il en croisant les bras sur son torse.

— Quand on marche sur mes plates-bandes... oui, rétorque-t-elle froidement.

Le silence s'installe, lourd, pesant. Jonas semble surpris par son franc-parler. Nelly, quant à elle, se sent presque soulagée de poser les bases dès maintenant. Elle ne compte pas se laisser écraser par sa célébrité ou par son charme. Il devra mériter sa place dans son atelier.

Joue-moi, l'amourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant