Chapitre 29 - Jonas

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Le cours se déroule sans encombre. Jonas reste en retrait, observant silencieusement. Son regard est fixé sur Nelly, scrutant chaque mouvement, chaque parole. Elle est fascinante dans son élément, son professionnalisme éclatant dans la manière douce mais ferme avec laquelle elle corrige une mauvaise posture, ou dans la façon méthodique dont elle expose le déroulement de l'année : un petit spectacle à Noël, une représentation plus conséquente fin juin ou début juillet –la date restant à définir-, et même un cours d'été pour ceux qui souhaitent se perfectionner. Elle est organisée, précise, et son enthousiasme pour le théâtre est palpable dans chaque mot qu'elle prononce.

Une adolescente, pleine d'énergie, lève la main, son visage illuminé par l'excitation.

— Jonas sera là aussi cet été ? demande-t-elle, ses yeux brillant d'espoir.

Nelly fronce les sourcils, un éclat de gêne traversant son visage. Elle tourne lentement la tête vers Jonas, lui lançant un regard interrogateur, presque sceptique. Sans se départir de son calme, elle répond avec une voix qui laisse peu de place à la discussion :

— Non. Monsieur Dupré sera sans doute retourné chez lui d'ici là.

Jonas hoche la tête en silence. Son regard se perd un instant, observant les élèves captivés par les paroles de Nelly.

Le cours touche à sa fin, et une sensation étrange s'installe dans son ventre. Malgré l'ambiance chaleureuse, Jonas ne peut s'empêcher de se sentir comme un intrus. Il est à la fois présent et absent, comme s'il flottait en périphérie d'une réalité à laquelle il n'appartenait plus. L'arête de son nez le démange, conséquence des lunettes de soleil qu'il a obstinément gardées. Maintenant qu'il est convaincu qu'il s'agit de « sa » Nelly, il n'ose même plus les retirer, par peur de croiser véritablement son regard et de raviver des souvenirs qu'il n'était peut-être pas prêt à affronter.

Alors que le dernier élève quitte la pièce, Nelly s'approche, les bras croisés, son ton mordant brisant le silence.

— Vous comptez rester là toute la nuit ? demande-t-elle d'un ton sarcastique.

Jonas, surpris, se redresse.

— Hein ? Euh, non ! Bien sûr que non ! balbutie-t-il, essayant de reprendre contenance.

— Vous ne dormiez pas pendant mon cours, tout de même ? rétorque-t-elle, un pli soucieux creusant son front.

— Non, non. Pas du tout. Je vous ai attentivement écoutée, répond Jonas, sa voix trahissant un léger malaise.

Nelly esquisse un sourire ironique avant de reprendre sur un ton plus tranchant.

— Vous êtes censé m'aider, pas observer pour améliorer vos propres techniques d'acteur.

Jonas éclate de rire, un rire qui sonne plus nerveux qu'il ne le voudrait, puis il se fige, réalisant qu'elle attendait vraiment de lui une implication plus active.

— Bien, oui. Évidemment. Comment vous organisez-vous au quotidien ? demande-t-il, tentant de regagner un semblant de sérieux.

Sans un mot, Nelly s'éloigne vers son bureau, le laissant quelques secondes en suspens avant qu'il ne se décide à la suivre. Elle s'installe gracieusement dans sa chaise, sa posture révélant à la fois de l'assurance et un soupçon d'impatience. Elle fait glisser une feuille sur le bureau vers lui.

— Mes horaires, déclare-t-elle d'une voix claire et directe.

Jonas attrape le planning, y jetant un rapide coup d'œil. Les journées de cours et les créneaux horaires sont scrupuleusement notés, avec des périodes plus intenses à l'approche des spectacles.

 Les journées de cours et les créneaux horaires sont scrupuleusement notés, avec des périodes plus intenses à l'approche des spectacles

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— Généralement, je viens une heure à une demi-heure plus tôt pour préparer mes cours, la salle...

Elle marque une pause avant d'ajouter :

— ... et plus encore à l'approche des représentations.

Jonas la regarde, impressionné. Elle gère tout avec une rigueur et une passion qui lui sont étrangères. Il tente maladroitement de faire la conversation.

— Vous avez un mi-temps ? demande-t-il, la voix légèrement hésitante.

Le visage de Nelly se fige. Elle fronce les sourcils, visiblement perplexe.

— Je... c'est que vous ne travaillez pas toute la journée, alors je me demandais...

Elle lève une main pour l'interrompre, l'exaspération perceptible.

— En effet, je n'ai pas un temps plein, répond-elle avec une froideur contenue. Mais je me donne corps et âme à ce que je fais.

Jonas se tait, hochant la tête en signe de respect. Il se sent de plus en plus intimidé, son cœur battant trop fort dans sa poitrine. Retrouver Nelly, était inespéré et pourtant il sent qu'il ne peut pas s'imposer davantage. Il n'ose pas se dévoiler. La vérité risque de tout faire voler en éclats, et cela, il ne peut pas le permettre.

— Je viendrai plus tôt demain, murmure-t-il finalement.

— Parfait. Bonne soirée, lâche-t-elle sans lever les yeux, déjà absorbée par un dossier qu'elle feuillette distraitement.

Jonas reste un instant, hésitant, mais finit par se diriger vers la sortie.

Deux heures plus tard, Jonas est attablé dans un petit café avec le maire, une tasse fumante entre les mains. L'atmosphère est bien plus détendue, bien qu'une certaine pression pèse encore sur ses épaules.

— Voyons, Monsieur Dupré... commence Karim, après avoir pris une gorgée de son café. Comprenez que Nelly est une jeune femme pleine de gentillesse, mais vous avez tout de même un peu chamboulé son quotidien avec votre... séance d'autographes impromptue.

Jonas soupire, hochant la tête, conscient de son erreur.

— Je sais, j'aurais dû ralentir les choses avant que ça ne prenne de telles proportions.

Il passe une main dans ses cheveux, visiblement contrarié.

— Mais j'ai essayé de calmer les jeunes filles et d'instaurer un peu de discipline... Le cours s'est bien passé, enfin, je crois.

Il repense à la manière dont Nelly avait ignoré sa présence, concentrée sur ses élèves, ne laissant pas transparaître la moindre émotion liée à son arrivée tardive. Elle avait fait preuve d'un sang-froid impressionnant, expliquant minutieusement les exercices, les méthodes de travail, et l'importance de réviser pour être prêts pour le spectacle de fin d'année.

Jonas se demande comment il pourrait bien lui proposer d'ajouter un concours de talents en juillet, comme le maire le souhaite. Elle semble déjà débordée par l'organisation du gala de fin d'année. L'idée même de revenir après son départ en février pour parrainer ce concours le plonge dans le doute. Revenir ici signifiait affronter ses souvenirs, et surtout affronter Nelly. Était-ce vraiment une bonne idée ?

— Ne vous en faites pas, assure Karim avec un sourire compatissant. Après une bonne nuit de sommeil, elle aura oublié cette histoire.

— Je l'espère, murmure Jonas, bien que son cœur lui souffle que tout était bien plus compliqué qu'une simple nuit de repos.

La véritable question n'était pas de savoir si Nelly oublierait, mais plutôt s'il arriverait, lui, à continuer sans laisser son passé remonter à la surface.

Joue-moi, l'amourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant