Chapitre 47

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Nelly se tient là, immobile, alors que le monde semble s'effondrer autour d'elle. Elle avait retrouvé Jonathan. Ce simple constat éveille en elle une douleur si vive, si déchirante, qu'elle lui coupe presque le souffle. Sa poitrine se serre, un étau invisible, la forçant à se rapprocher du mur pour trouver un appui. Elle aime tant son travail, ses élèves, les projets qu'elle a bâtis avec patience et passion. Mais travailler avec Jonathan ? Ce seul nom ravive un tumulte d'émotions qu'elle pensait avoir enterré pour toujours.

Elle se souvient de son regard, ce bleu éclatant qui lui avait révélé son identité après tout ce temps. Lui, avec ses lunettes de soleil qu'il ne quittait jamais, un détail qui l'agaçait autrefois et qui, encore maintenant, éveillait en elle un mélange de frustration et de tendresse. Il a tellement changé depuis leur jeunesse. Plus grand, plus solide, son visage marqué par la maturité. Elle n'a pas reconnu son allure, ses gestes, ni même sa voix au début. Mais ces yeux... ces mêmes yeux qui, autrefois, avaient fait battre son cœur plus fort, étaient restés inchangés. Et au moment où elle a croisé son regard, tout en elle s'est ravivé.

Il a tellement changé, songe-t-elle en rougissant.

Pourquoi maintenant ? Pourquoi, après toutes ces années de silence, alors qu'elle pensait l'avoir oublié, sentait-elle son cœur renaître ? Ce même cœur qui, pendant si longtemps, n'avait battu que pour lui. Elle sent les larmes lui monter aux yeux, une vague d'émotions incontrôlables la submerge. Elle veut le chasser de ses pensées, se forcer à l'oublier une nouvelle fois. Il a causé trop de douleur. Elle a déjà assez souffert. Elle ne peut pas se permettre de revivre cet enfer.

Pourtant, son esprit est en conflit. D'un côté, le souvenir de cet amour perdu lui apparait comme un rêve lointain, presque inatteignable. Revivre cela avec Jonathan serait comme retrouver une partie d'elle-même, celle qu'elle a perdue quand il est parti. Elle rêve de revivre ce bonheur, de ressentir à nouveau cette passion dévorante qui l'a un jour consumée. Elle se revoit, jeune et insouciante, rire à ses blagues, se blottir contre lui lors des nuits d'été. Leur amour a été si pur, si simple.

Mais il y a aussi sa réalité actuelle, bien différente de celle d'autrefois. Bertrand... Bertrand qui lui avait offert une stabilité qu'elle a tant cherchée. Sa famille, ses engagements, tout ce qu'elle a construit. Comment pourrait-elle tout détruire pour un amour qui appartient au passé ? Comment oser sacrifier tout cela, sur un coup de tête, sur une illusion du passé ? Elle se sent tiraillée entre deux mondes, deux vies, et aucune des options ne lui semble juste.

Une vague d'angoisse l'envahit alors qu'elle essai de reprendre son souffle. Son corps tremble légèrement, et elle sent son cœur battre si fort dans sa poitrine qu'elle a l'impression qu'il va exploser. Elle finit par s'abandonner au pied du mur, ses jambes ne la soutenant plus. Elle attrape ses cheveux dans ses mains, enfouissant son visage entre ses genoux, cherchant une échappatoire à ce tourbillon d'émotions qui menace de l'engloutir.

Pourquoi tout doit-il être aussi compliqué ? Elle a été si naïve, autrefois. Elle s'en veut d'être aussi stupide, d'avoir cru qu'elle pourrait enterrer son passé et avancer sans jamais y faire face. Jonathan a tout chamboulé, et elle se retrouvait une fois de plus à douter de tout.

Allongée sur le canapé, Nelly joue avec son fils que son père lui as déposé. Elle est contente qu'il n'ait pas eu le temps de s'éterniser pour rejoindre le club, car elle n'aurait pas pu lui faire face. Louis, son trésor, comme si ce simple moment pouvait effacer le chaos qui tourbillonne dans sa tête. Comment peut-elle perdre pied pour un homme, si vite et si violemment ? Elle le sait bien, elle se pose cette question depuis des heures, mais au fond d'elle, une petite voix résonne encore. Ce n'est pas n'importe quel homme.

Le souvenir de Jonathan la frappe comme une vague, inratable. Son regard se perd à nouveau dans le vide, malgré le doux babillage de son fils à ses côtés. Elle doit se ressaisir, absolument. Mais chaque tentative de refouler les émotions échoue face au souvenir de ses yeux bleus, de ses mots, de ce passé qui semble vouloir la rattraper.

Puis soudain, Louis rigole alors qu'il appui sur une peluche qui parle. Il l'embrasse lorsque l'animal en mohair dit « bisou » et cette simple note de joie ramène Nelly à la réalité. Elle sourit malgré elle. La chaleur de cet instant la réconforte – ici, dans son salon, avec son fils, tout semble plus simple. Il lui faut de l'aide, elle le sait. Elle ne pourra pas faire face à ces émotions toute seule. Sa sœur, Leticia, ses piliers... elles sauront l'aider à mettre de l'ordre dans ce chaos. Elles ont toujours là.

Elle prend son téléphone, ses mains légèrement tremblantes, et envoie un message.

18:12 – Nelly : Tu peux passer à la maison ? Besoin de toi...

18:13 – Maddy : OK. J'arrive.

18:15 – Leti : Suis en route.

Un sourire éclaire son visage. La simple idée de les voir la soulage, comme si leur présence seule pouvait apaiser la tempête qui grondait en elle. Avoir des proches sur qui compter était une bénédiction, et dans ce moment précis, elle en ressent toute l'importance. Elle se lève pour nourrir Louis, ses gestes se font plus doux, plus concentrés.

Une fois Louis confortablement installé dans son parc, elle se dirige vers la cuisine, essayant de ne pas laisser les souvenirs l'envahir. Il faut qu'elle agisse, qu'elle bouge, même si l'idée de tout raconter la rend nerveuse. Elle ouvre les placards et commence à sortir de quoi préparer un repas rapide pour ses amies. Mais avant qu'elle n'ait eu le temps de faire quoique ce soit, la porte s'ouvre déjà.

— Nel ? la voix de Madeleine résonne dans l'entrée.

— Dans la cuisine ! répond Nelly, essayant de masquer le tremblement dans sa voix.

Madeleine apparaît, un grand sourire aux lèvres, son regard déjà rempli de tendresse et d'inquiétude.

— Oh, tu t'embêtes ! Regarde, j'ai pris du chinois ! annonce-t-elle en levant les sacs en l'air comme un trophée.

Nelly sourit. Madeleine la connaissait trop bien. Elle n'a même pas besoin d'expliquer pour que sa sœur comprenne qu'elle ne peut pas se concentrer sur des détails aussi triviaux que la cuisine ce soir.

— T'aurais pas dû te donner cette peine.

— Nel, je te connais par cœur. Si tu me demandes de venir aussi vite, c'est que quelque chose te travaille, et je savais que tu ne serais pas d'humeur à cuisiner, répond Maddy en posant les sacs sur la table.

Elle ne lui laisse pas le temps de répondre avant de la prendre dans ses bras, cette étreinte qui lui fait un bien fou, une étreinte silencieuse mais remplie de soutien. Puis, avec un petit rire, elle se dirige vers le parc de Louis, dépose un baiser sur le front du petit garçon qui gazouille joyeusement, s'amusant à jeter des balles en plastique.

— Y'a quelqu'un ?

La voix joyeuse de Leticia résonne dans la maison, un souffle d'énergie supplémentaire.

— Dans la cuisine ! répète Nelly, le sourire un peu plus large cette fois.

Leticia entre, un sac en main, son regard pétillant de malice.

— J'ai ramené des glaces ! lance-t-elle en posant le sac sur la table. J'ai senti que tu en aurais besoin, ajoute-t-elle avec un clin d'œil complice.

— Je savais que je pouvais compter sur vous, murmure Nelly en soupirant, son cœur se réchauffant déjà à leur présence.

Elle sent l'étau autour de sa poitrine se desserrer légèrement. Ce soir, elle ne sera pas seule face à Jonathan et aux souvenirs qu'il a réveillés. Ce soir, elle pourra enfin se libérer de ce poids qui l'étouffe depuis ce matin.

Après avoir nourri son fils, elle part le mettre au lit. Après quoi, elle affronterait ses démons. 

Joue-moi, l'amourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant