Chapitre 18

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Fin août...

Les journées s'égrènent avec une lenteur oppressante, chaque matin apportant une tension supplémentaire à la poitrine de Nelly. Malgré les rires des enfants et la joie partagée avec les élèves des centres aérés, un stress insidieux la ronge peu à peu. Elle s'efforce de rester présente, de profiter de ces moments où l'insouciance des élèves semble pouvoir tout guérir, mais son esprit revient toujours à ses inquiétudes, à cette sensation de malaise grandissante.

Le soir venu, quand elle se retrouve seule dans le silence de sa maison, la solitude pèse de plus en plus lourd. Parfois, elle parvient à joindre Bertrand via un logiciel de discussion en ligne. Ces appels lui sont nécessaire, comme des bouées dans un océan de doutes sur sa relation, son futur en tant que prof, l'angoisse qui lui noue l'estomac à chaque fois qu'elle entends le mot « Dupré ».

Ce soir-là, l'image de Bertrand apparait sur l'écran, son visage éclairé par la lumière douce d'une lampe hors champ. Elle l'aime, mais elle se sent si loin de lui. Si éloignée de ce qu'ils avaient été.

— Dis-moi ce qui ne va pas ? l'interroge Bertrand, ses sourcils légèrement froncés, signe qu'il a perçu son agitation même à travers l'écran.

Elle hésite, cherchant les mots justes, ceux qui n'explosent pas en mille éclats de douleur.

— Je le sens pas... ce Jonas. J'ai pas envie de l'avoir dans mes pattes. Je sais, ce n'est pas bien, et...

Elle s'interrompt, sentant le flot de ses émotions remonter, menaçant de déborder. Dupré. Ce nom qu'elle ne peut entendre sans que son cœur se serre. Ce n'est pas simplement un inconfort professionnel, c'est bien plus profond que cela et elle le sait. Comment expliquer à Bertrand, son mari, que ce nom réveille une douleur ancienne, celle de son premier amour ? Non. Impossible. Il s'emporterait...

— Nelly ! s'exclame Bertrand d'un ton doux mais ferme. Tu es la bonté incarnée, et tu ne voudrais pas aider un homme à se relever ? Qu'est-ce qu'il t'arrive ?

Son ton est rassurant, presque tendre, mais elle n'arrive pas à se libérer de cette angoisse. Comment lui dire que la simple évocation de ce nom la renvoi à une époque révolue, à ces années où elle avait aimé de manière désespérée, sans savoir que cet amour allait lui briser le cœur ? Que même si ce Jonas-là n'est pas le même, le nom « Dupré » sonnait comme un coup de poignard, réveillant les échos d'une souffrance qu'elle avait tenté d'enfouir ?

Elle baisse les yeux, incapable de soutenir son regard à travers l'écran.

— Je... J'ai peur de perdre ma place.

C'était plus simple de se réfugier derrière cette peur-là, une crainte légitime, professionnelle. Mais la vérité se cache sous cette excuse, bien plus douloureuse. Bertrand, lui, sourit doucement, l'air de celui qui comprend tout sans avoir besoin d'explications supplémentaires.

— Tout ira bien, ma chérie, murmure-t-il avec cette voix calme qui rassure. Je rentre bientôt, d'accord ? Mais tu sais, ce nouveau tournage va aussi me prendre beaucoup de temps... je risque de voyager.

Nelly sent un frisson parcourir sa nuque. C'était toujours la même histoire, le même refrain. « Je rentre bientôt. » Mais « bientôt » s'étirait sans fin. La distance entre eux devenait un gouffre...

— Oui, je m'en doute, répond-t-elle d'une voix faible, ne sachant plus trop quoi dire.

Bertrand se redresse légèrement, ajustant son col de chemise avec un naturel déconcertant, comme s'il se préparait déjà pour autre chose, une autre vie, loin d'elle.

— Mais, je tiens à toi, tu le sais, n'est-ce pas ?

Elle hoche la tête, mais au fond d'elle, une petite voix lui murmurait des doutes, lui rappelant toutes ces soirées passées seule, ces moments où elle avait besoin de lui, et où il n'était qu'un écho dans un appel vidéo.

Joue-moi, l'amourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant