Chapitre 23 - Jonas

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La petite bourgade semble figée dans le temps, comme si les années n'avaient laissé aucune empreinte visible. Les façades des maisons, les rues pavées et les arbres centenaires dessinent un tableau presque immuable, où la vie suit son cours au rythme des saisons. Autrefois, cet endroit a quelque chose d'idyllique, un véritable refuge loin du tumulte des grandes villes.

Avant.

Maintenant, un sentiment d'étrangeté flotte dans l'air, un décalage subtil entre l'âme tranquille du lieu et l'intrus qu'il allait devenir. Jonas ressent ce fossé grandissant.

Assis dans l'arrière de la berline, Jonas regarde défiler le paysage par la fenêtre, son visage impassible. Conduit par Jack, son fidèle chauffeur, il se dirige vers la mairie, l'épicentre de ce petit monde. Monsieur Warid, le maire, l'attend pour quinze heures. Il sera exactement à l'heure, comme à son habitude.

— Putain ! Les femmes au volant ! s'exclame Jack soudainement, en frôlant de justesse un petit véhicule vert pomme qui vient de leur couper la route.

Jonas, habituellement sérieux, ne peut s'empêcher d'éclater de rire. Il observe la petite voiture s'éloigner maladroitement dans la rue étroite, un sourire moqueur au coin des lèvres.

— Merci pour le spectacle, Jack, répond Jonas avec un clin d'œil complice.

Jack se contente d'un bref sourire, avant de manœuvrer habilement la voiture pour se garer devant la mairie. Le drapeau bleu, blanc et rouge flotte doucement sous la brise légère, une image paisible que Jonas balaye du regard sans émotion particulière. Jack sort le premier du véhicule, rigide et s'approche pour ouvrir la portière de son client.

— Merci, Jack, mais ne vous donnez pas cette peine, dit Jonas en se redressant.

— C'est mon travail, Monsieur, répondit Jack avec déférence, le ton mesuré.

Jonas hausse légèrement les épaules. Il apprécie l'homme serviable, silencieux qu'est Jack. L'homme se place alors à sa gauche, légèrement en retrait, les mains jointes derrière le dos, adoptant une posture discrète mais protectrice.

Jonas prends une grande inspiration, se dirigeant vers l'entrée de la mairie, son regard masqué par ses lunettes de soleil sombres. Le bâtiment est modeste, avec son architecture vieillotte, typique des petites villes françaises, et pourtant, il va devenir un point central de sa nouvelle vie ici. Ce simple constat provoque chez lui une pointe d'irritation. Mais il la réprime.

— Bon... bonj... bonjour... bredouille l'employée à l'accueil, visiblement troublée par la présence de Jonas.

— Bonjour, répondit-il d'une voix ferme, un sourire poli se dessinant sur ses lèvres. Nous venons voir le maire.

L'employée rougit instantanément, visiblement déconcertée par l'assurance de l'homme qui lui fait face. Elle s'empresse de saisir le combiné pour appeler le bureau du maire, mais ses gestes maladroits trahissent son trouble.

— Oui, bien sûr... balbutie-t-elle tout en essayant de se ressaisir. Je... Je l'appelle immédiatement, Monsieur Dupré.

Jonas lève les yeux au ciel, habitué à ce genre de réactions. C'était toujours la même chose. La gêne, l'admiration silencieuse, parfois la jalousie à peine voilée.

En attendant que l'employée se rétablisse de son émoi, il en profite pour balayer du regard l'intérieur de la mairie. Des personnes âgées sont assises non loin, probablement venues pour des démarches administratives, leurs visages ridés empreints d'une sérénité propre aux gens qui n'ont plus rien à prouver au monde. Un peu plus loin, deux femmes discutent vivement, échangeant des commérages tout en manipulant une vieille photocopieuse. Il surprend leurs regards furtifs qui se tournent vers lui, et les chuchotements qui s'ensuivent.

Joue-moi, l'amourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant