Chapitre 44

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Revenu les mains vides, le poids des deux heures passées à errer sans but pèse sur les épaules de Nelly alors qu'elle pousse la porte du théâtre. Son regard est absent, son esprit loin de là, perdu dans une confusion d'émotions qu'elle peine à canaliser. Elle n'a rien acheté. Elle n'a même pas vraiment cherché à faire les courses qu'elle s'était imaginée pour fuir la présence de Jonas. La marche en ville n'a fait que raviver ses tourments, la laissant plus désemparée qu'auparavant.

— Oh, bonjour Mademoiselle Dudressie, lance une voix grave, familière.

Nelly sursaute légèrement, ramenée brusquement à la réalité. Jean-Pierre, l'un de ses élèves les plus âgés, se tient là, un sourire timide accroché à son visage ridé. Ses yeux pétillent de gentillesse, malgré l'ombre d'une préoccupation visible dans ses traits.

— Bonjour Jean-Pierre, vous êtes un peu en avance, lui répond-elle en tentant de retrouver une contenance.

Elle force un sourire, espérant que son interlocuteur ne perçoive pas le chaos émotionnel qu'elle tente de dissimuler.

Jean-Pierre acquiesce d'un mouvement de tête, un peu nerveux. Il semble mal à l'aise, comme s'il portait en lui une nouvelle difficile à partager. Nelly remarque du coin de l'œil la silhouette de Jonas qui sort du bureau à l'autre bout du couloir, l'observant avec une intensité qui la fait frissonner. Elle détourne rapidement le regard, se concentrant à nouveau sur Jean-Pierre.

— Oui, je... je voulais vous voir pour le paiement du trimestre... je, balbutie-t-il, baissant les yeux, gêné.

Nelly, avec toute la bienveillance qu'elle peut encore mobiliser, incline légèrement la tête, lui offrant un sourire doux.

— On fait comme l'année dernière ? En plusieurs fois ? demande-t-elle, espérant alléger la tension de l'échange.

Jean-Pierre hoche la tête, mais l'angoisse reste palpable dans ses traits fatigués.

— J'ai peur que, avec mon passage à la retraite en décembre, ça ne passe pas sur l'année, confesse-t-il enfin, visiblement peiné.

À ces mots, le cœur de Nelly se serre. Jean-Pierre fait partie de ces élèves qui sont plus que de simples participants à ses cours. Il a été là, année après année, à se plonger avec enthousiasme dans les exercices, toujours prêt à apprendre, à s'améliorer malgré son âge avancé. Il est un pilier de son petit groupe de théâtre, une présence réconfortante, et l'idée de le perdre à cause de soucis financiers la touche profondément.

— Oh, Jean-Pierre... murmure-t-elle, sincèrement émue.

Elle pose une main compatissante sur son bras, son regard plongeant dans le sien avec une tendresse non feinte.

— Je vais en parler au maire, d'accord ? On verra si on peut faire quelque chose pour vous.

Jean-Pierre relève la tête, ses yeux s'illuminent d'un mince espoir.

— Vraiment ? souffle-t-il, incrédule.

— Je ne vous promets rien, mais on peut essayer. Vous suivez mes cours depuis des années, vous faites partie de la famille du théâtre, Jean-Pierre, ajoute-t-elle avec un sourire.

Elle veut vraiment l'aider, malgré les incertitudes de la situation. Ce serait une injustice de le voir partir. L'homme lui adresse un signe de tête reconnaissant, ses épaules s'allègent visiblement sous le poids du soulagement, même si celui-ci n'est que provisoire.

— Merci, vraiment, je... je ne sais pas quoi dire, murmure-t-il, ému.

— C'est normal, Jean-Pierre. Allez, rejoignez vos camarades, on va commencer bientôt.

Joue-moi, l'amourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant