Une vie

Rendez-vous au premier virage

Je venais seulement de faire un pas dans le Paddock, mon bras enroulé autour des épaules de ma mère que déjà, des centaines de flash s'allumèrent autour de nous, nous éblouissant toutes les deux. J'avais fini par m'habituer à cette attention constante, mais c'était bien plus impressionnant cette fois que les autres. Le Grand Prix de France venait à peine de commencer, et pourtant nous avions déjà croisé tout autour du circuit des centaines de fans, dont une grande partie m'avaient sollicitée pour prendre une photo ou signer un autographe.

Ma surprise avait été immense quand de beaucoup d'entre elles m'avaient présenté des photos de Charles et moi, et les larmes avaient manqué de couler lorsque j'avais reçu un bracelet rouge et bleu électrique, où étaient inscrits nos deux prénoms. C'est aussi là que j'avais appris les noms que nous donnait les fans, deux surnoms qui me faisait sourire lorsque je les entendais. Charléna et Leclarchal.

Ma mère marchait à mes côtés, détaillant tout ce qui l'entourait avec un émerveillement enfantin qui m'amusa, me rappelant mon premier jour dans un Paddock. Je savais que son envie de s'arrêter et de prendre son temps pour admirer chaque élément devait la démanger, mais je connaissais le Paddock et sa cruauté. Tant que nous serions dans un endroit accessible, que ce soit près des garages ou des hospitalités, tous nos faits et gestes seraient scrutés et analysés à la loupe, les journalistes et les fans ne nous laissant aucun répit.

Le nombre de personnes qui gravitaient autour de nous était toujours gargantuesque, tout comme ça l'était pour Esteban, Pierre et Charles, les pilotes français et francophones étant énormément sollicités lors de ce Grand Prix. C'est ainsi, avec la ferveur de toutes ces personnes, que la réalisation m'avait frappée. Pour beaucoup de fans, j'étais devenue un modèle et une fierté française, et de savoir cela me réchauffait le cœur.

Nos pas nous guidèrent devant les hospitalités, et je présentais l'histoire de chaque écurie, le regard brillant d'intérêt de ma mère me poussant à lui partager cette passion qu'était la mienne. Si elle m'avait paru captivée lorsque nous passâmes devant les motor-home de Haas, Alfa Romeo, Williams, Aston Martin et Alpine, ce ne fut pas autant que pour Ferrari, puisqu'elle s'arrêta devant la façade aux couleurs de l'écurie Italienne, admirant le logo au cheval cabré.

Une lueur s'alluma dans son regard, alors qu'elle détaillait le bâtiment qui nous faisait face, et j'avais l'impression de me revoir en elle, cette excitation dévorante étant en tout point semblable à celle que j'avais ressentie à mon arrivée en début de saison.
- Alors c'est ici que loge Ferrari ? souffla-t-elle, les lèvres entrouvertes et un immense sourire accroché aux lèvres. C'est cette écurie dont tu m'avais tant parlé étant petite, n'est-ce pas ? Je me rappelle que tu adorais écouter Alain te raconter l'histoire de cette marque, tu semblais à chaque transportée dans son récit...

Sans que je n'en comprenne la raison, un voile se déposa soudainement sur son visage, et ses yeux s'embuèrent, alors que ses mains se mirent à trembler avec de plus en plus d'intensité à chaque seconde qui passait. Son regard se tourna dans ma direction, et je vis un éclat se briser au sein de ses prunelles, alors que ses sourcils se froncèrent, des ridules d'anxiété apparaissant sur son front.

Je ne l'avais jamais vu ainsi, aussi désespérée, et effrayée par ce qu'elle voyait. Sa réaction si étrange et inhabituelle me fit l'effet d'une balle en plein cœur, et je m'avançai vers elle, enroulant mes bras autour d'elle pour la soutenir.
- Mon dieu, ma fille, murmura-t-elle en coréen, tendant ses doigts tremblant dans ma direction. Tu es si jeune et pourtant si mature... Tu es tellement forte, mais c'est à moi de te protéger, pas l'inverse... Je... Comment vas-tu faire sans-

Ses paumes enveloppèrent mon visage, et je vis une larme s'échapper de ses yeux humides, alors qu'un sourire d'une tendresse infinie s'inscrivit sur ses lèvres, son regard détaillant mes traits qui lui ressemblaient tant.
- Promets-moi de ne jamais abandonner ton rêve, d'accord ? me demanda-t-elle en caressant de son pouce ma pommette. Promets le moi, Ji-an. Je veux que tu te battes comme tu l'as toujours fait, peu importe les difficultés.
- Maman ? Qu'est-ce qu'il se passe ? m'inquiétai-je, mes yeux faisant des aller-retours entre ses prunelles, mes mains entourant les siennes, alors que je sentais mon cœur s'affoler dans ma poitrine.