Les quartiers maudits - 2 -

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Dérycée passa la plus horrible nuit de toute son existence, entre douleurs et fièvre, recroquevillée au bout de son immonde paillasse, ressassant la perte de sa bague de naissance, hantée par les souvenirs de la torture de Rog'n, inquiète du sort de ses amis. Quel sort peu enviable les fomoïres avaient-ils réservé à Dolfi ? Ils avaient probablement détecté ses capacités magiques. Torque de bronze ? Et Ruz ? Elle tenta de se remémorer sa séparation brutale, sur le lac intérieur. Une image fugace de trois silhouettes malmenées par la barque maudite de Rog'n marqua son esprit : Ruz à la proue, invectivant le bateau, Gaurwelle en retrait et Per tentant de conserver un équilibre précaire au milieu. Ruz avait changé. Il n'était plus le loup affectueux et naïf qu'elle avait connu. Inflexible et téméraire, le loup-garou avait dépouillé l'androloup de son innocence joviale, ce qui le rendait - paradoxalement - encore plus attachant aux yeux de Dérycée. En cette nuit abyssale, l'absence de son ami lui pesait comme jamais. Elle adressa une prière silencieuse aux anciens dieux et ferma les yeux, déchirée par sa douleur, par ses douleurs. Malgré sa peine, ressasser ses erreurs ne l'aiderait pas à franchir les épreuves qui l'attendaient. Elle regrettait amèrement de les avoir imposées également à ses amis, mais elle n'y pouvait plus rien. Peut-être avaient-ils réussi à rejoindre la berge et trouvé un refuge ? Elle essaya de s'en convaincre, car ses émotions l'empêchaient d'avancer. Bien sûr, tout le monde l'avait prévenue : elle avait accepté - et même choisi - cette descente aux enfers. Il lui fallait désormais trouver les ressources nécessaires à sa survie. Or, la douleur dans sa hanche et dans ses côtes la tourmentait sans cesse. Profitant des ronflements des autres occupants, elle plongea en elle-même, en quête des pouvoirs curatifs dont Yourg lui avait parlé. Une sensation étrange remonta le long de ses membres. Sans obtenir mieux qu'un peu de détente musculaire, ce premier essai lui parut malgré tout prometteur. S'enhardissant, elle posa la main contre la paroi de la cellule et tenta un contact élémentaire. Peut-être la roche pourrait-elle lui apprendre des choses intéressantes ? Aussitôt, une décharge électrique explosa dans sa gorge, lui arrachant un cri aigu. Auguste se redressa sur sa couche.

— Idiote, hurla-t-il ! Si tu tentes d'user de magie féérique, le torque capturera l'énergie et s'en servira pour te punir !

Folk ricana.

— Tout le monde essaie au moins une fois, de toute façon. Même si on t'avait prévenue, tu aurais tenté le clou.

Dérycée ne releva pas. Le choc l'avait à moitié étourdie.

— Ça te servira de leçon, madame je ne suis pas une fée ! ajouta Auguste en se recouchant.

Au bout de quelques heures, la fièvre finit par la faire délirer. Papa, je ne m'enfuirai plus. La silhouette de Morwan se pencha vers elle, les orbites vides, les mains décharnées. Dérycée, mon coeur, pourquoi avoir voulu danser avec le diable ? Tu ne peux plus revenir, tu t'es offerte à l'Autre Monde, et tu m'as abandonné, renié, moi qui t'aimait plus que tout. Tu m'as laissé tomber en poussière au milieu de mes ruines. Tu es seule, désormais, Dérycée, mon trésor, mon unique. Seule. Adieu, cœur de ma vie. Des orbites vides de Morwan jaillissaient des ruisseaux de larmes. La jeune fille essaya d'attraper son père, de le serrer dans ses bras. Elle supplia, demanda pardon, pleura...

Agacé, Auguste se leva, soufflant et grognant d'énervement. Il alla puiser un peu d'eau à la barrique et déposa sans aménité son seau à côté de la couche de Timorelle. La jeune femme aux oreilles d'âne avait les yeux ouverts et l'observait à travers la pénombre grise de la cellule. D'un signe de tête, il lui ordonna d'aller s'occuper de la nouvelle venue qui grelottait sur sa paillasse. Timorelle se leva sans entrain, prit l'eau et trempa sa couverture mitée dedans. Avec soin et application, elle s'employa à faire tomber la température de la demi-fée en lui rafraîchissant le corps. Elle poursuivit sans relâche, avec patience, jusqu'à ce que Dérycée s'apaise enfin.

Le Tombeau des Géants - 2 - La Cour des PoussièresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant