Retour au Roc'h an Ankou - 1 -

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Au détour d'une souche déracinée, Ruz déboucha sur la clairière parsemée de fougères et de panaches d'herbes épaisses qui ceinturait le repaire de Myrdhin. Le lieu embaumait la chlorophylle et la terre humide. Au centre de la trouée, tel un îlot flottant sur un océan végétal, le soleil matinal dorait le sommet du long rocher granitique sous lequel séjournait le druide. Ruz connaissait bien l'endroit. Il flaira l'atmosphère et reconnut l'odeur caractéristique d'un cheval. Per n'avait donc pas retrouvé sa forme de loup, ni réussi à se changer en être humain. Ruz espéra qu'il s'était habitué au régime végétarien.

Tout en se remémorant leur fuite de Fendhel, il s'engagea dans la forêt de fougères. Des nuées de papillons s'égayèrent sur son passage, composant un ballet coloré dans l'azur du matin. Il traversa le dais végétal en écartant tiges et feuilles à la façon d'un nageur, en décrivant de grands moulinets, bruissements et bourdonnements lui répondant en guise d'éclaboussures. Arrivé à la lisière, il contempla l'empilement de roches qu'on appelait le Roc'h an Ankou. Le rocher de l'Ankou, le passeur des derniers souffles, celui dont la visite était tant redoutée des hommes.

Posé en équilibre sur ses trois pierres arrondies, le roc laissait échapper une fine vapeur dans les rais du soleil levant. Ruz se souvint de sa première visite, quand Myrdhin lui avait présenté son antre : « en vérité, l'Ankou ne vient jamais par ici » avait-il murmuré en écartant un large pan de lierre qui masquait l'entrée. « Je suis trop coriace pour lui, mais des esprits anciens en ont fait leur ultime demeure. Si tu ne les regardes pas et que tu t'adresses à eux poliment, ils ne te molesteront pas ».

Il était plongé dans ses souvenirs quand une voix goguenarde le tira de sa rêverie.

— Tu es bien matinal pour un loup-garou.

Assis en tailleur sur un tronc renversé, les yeux clos et le visage tourné vers le soleil, Myrdhin esquissa un sourire amusé. Bien qu'habitué aux saillies de l'ermite, Ruz resta interloqué. Il ne l'avait ni vu ni flairé. Pourtant, il était visible comme le museau entre les deux oreilles. Avec sa robe de lin écru, sa barbe et ses cheveux blancs filasses, il ne faisait rien pour se dissimuler.

— Tu te demandes comment je sais que tu es Ruz, et pas un monstre féroce venu me dévorer ?

Le loup-garou gronda une réponse, honteux de la rugosité de sa voix.

— Hmmm ? fit le druide, qui avait visiblement du mal à comprendre les borborygmes de Ruz. Eh bien, les monstres ne se lèvent jamais de si bonne heure, vu qu'ils ont passé la nuit à remplir leur rôle effroyable. Le matin, ils dorment.

Il ricana généreusement tandis que Ruz grimpait à sa rencontre.

— Allez, ton histoire mérite un bon petit-déjeuner. Je suis sûr que tu as hâte de revoir ton ami Per. Il doit être en train de brouter derrière le ruisseau. Je t'avoue que depuis qu'il est là, mon pré est bien plus présentable !

Il fit craquer ses jointures, s'étira et sauta de son perchoir.

— Tu dois avoir des tas de choses à me raconter... Ah, la jeunesse ! L'aventure ! L'amour ? questionna-t-il en enchaînant les haussements de sourcils entendus.

— Myrdhin, grogna Ruz, parler m'est pénible.

— Nous allons arranger ça. Je vais te préparer un petit remède de ma composition. Tu verras, après ça, tu pourras te produire comme baladin à la cour du roi Gradlon ! Ta voix fera fondre d'amour les pucelles du sanctuaire aux mille soupirs !

Un hennissement attira son attention, suivi du martèlement caractéristique des sabots d'un cheval. Per jaillit en sautant par-dessus un buisson, parfaitement guéri. Arrivé à quelques pas, il marqua une hésitation. Il avait peu changé depuis qu'ils s'étaient quittés, hormis un détail troublant.

— Ne fais pas attention à la corne sur son front, murmura Myrdhin, ton ami n'a pas démérité dans ses tentatives de métamorphoses. Je pense qu'il n'est simplement pas doué. Ou il a trop d'imagination... Mais, un jour, il y arrivera.

Per tourna autour de Ruz en le flairant.

— Au moins, il semble te reconnaître, malgré ton allure peu affriolante.

Ruz tendit la main, mais Per fit un écart pour l'éviter.

— Laisse-lui un peu de temps pour se faire à l'idée que, toi non plus, tu n'es pas si doué pour les métamorphoses...

Myrdhin se tourna vers le cheval, qui ressemblait désormais davantage à une licorne.

— Per, c'est ton ami Ruz. Fais-moi confiance, je sais reconnaître un métamorphe, surtout un débutant.

Le cheval renâcla, puis se hasarda à un bref coup de museau contre l'épaule de Ruz.

— Je sais mon vieux, je ne suis pas beau à voir. Je te raconterai ça...

— Autour d'une collation ! conclut leur hôte en tournant les talons. Suivez-moi !

Le Tombeau des Géants - 2 - La Cour des PoussièresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant