Gurwen les entraîna sous un chêne rabougri. Une jarre de terre cuite, bouchée par un morceau de bois, reposait sous l'ombre chiche du feuillage.
— L'eau, c'est ce qu'il y a de plus difficile à gérer. Laissez-la quelques jours au repos et elle devient plus venimeuse qu'un aspic. Descendre au ruisseau demande du temps et de l'énergie, alors je récupère un peu de pluie, mais il faut la boire vite. Du coup, je fabrique une petite bière un peu rugueuse, mais qui ne file pas trop la chiasse, sauf les premiers jours...
— Et pour manger ? questionna Ruz, dont l'estomac commençait à donner des signes d'impatience.
Le moine ouvrit un panier d'osier et lui montra un faisan déplumé.
— Je fronde un peu. Je pose des collets. J'ai quelques poules et une chèvre. Et je cultive un potager derrière la chapelle.
Ruz saliva.
— Prends le gibier, je peux m'en passer. J'ai appris à vivre de peu, ici. Je suppose que ton ami peut se contenter de l'herbe folle qui abonde aux alentours.
Il s'installa sur un pavé de granit.
— Faites comme chez vous. Maintenant qu'on se connaît un peu, voudrez-vous me raconter ce qu'une licorne et un loup-garou font sur le toit du pays ?
Ruz déposa sa besace sur le sol et en partagea le contenu avec son hôte. Quelques pommes, des herbes sèches, un reste de gibier empaqueté dans des feuilles, un pot de miel. Gurwen huma le bouquet d'herbes avec un air connaisseur. D'un coup de dents, Ruz avala la moitié du faisan. Il prit le temps de réfléchir en avalant le reste de l'oiseau.
— Nous ne sommes pas vraiment ce que vous dites. Nous sommes des loups d'Ogmios. Lorsque notre dieu a disparu, notre meute, orpheline, s'est tournée vers un druide. Et nous avons cherché à nous changer en hommes.
— Quel druide ?
— Bleiz.
— Hmmm.
— Vous connaissez ?
— Non. Enfin, de nom. Et donc, vous avez raté votre transformation, c'est ça ? Laissez-moi deviner. Vous êtes les deux cancres de la bande, et les autres vous ont virés parce que vous étiez incapables de retenir les leçons. J'ai bon ?
— C'est un peu plus compliqué que ça.
Gurwen observa d'un œil intéressé les deux compagnons.
— Qui dit compliqué, dit longue histoire. Et moi, j'aime les histoires. Que diriez-vous de rester dîner ? Et de me filer un coup de patte pour quelques petits boulots de force ? ajouta-t-il avec un rictus.
Ruz jeta un œil à Per, qui s'acharnait sur un tapis d'herbes rases.
— On se rend au bosquet sacré. C'est le hasard qui nous a déviés de notre chemin. Mais je suppose qu'il y avait une raison...
Il songea à la manifestation de l'homme aux bois de cerf. Si Cernunnos avait daigné se montrer, il ne s'agissait pas d'un hasard. Mais il se garda de mentionner ses visions.
— Voilà qui est parlé. Le hasard n'est qu'une réponse des dieux à des sujets qui nous dépassent.
— Vous n'êtes pas un prêtre du nouveau dieu ?
Le moine fit un geste de la main.
— Si si, mais les anciens dieux existent encore, au moins dans mon cœur. Le dieu de l'Empire est incontestablement devenu le plus fort. Je suis quelqu'un de pragmatique : je me range du côté de celui qui peut me protéger.
— Vous protéger de quoi ?
Gurwen fit un clin d'œil.
— De moi-même... et du maître des apparences.
Il se leva.
— Si le destin vous a mené ici, c'est forcément pour y accomplir quelque chose de grandiose à la gloire de Dieu. Comme... aider un pauvre moine à bâtir sa chapelle. Un cheval, des bras jeunes et puissants, c'est inespéré. Vous êtes connectés avec le ciel.
Ruz secoua la tête.
— Bâtir une chapelle sur un sanctuaire des anciennes puissances du monde, c'est un sacrilège auquel je ne souhaite pas m'associer.
— Je la construis à côté, pas dessus. Allons, les anciens et le nouveau doivent apprendre à cohabiter !
— Nous avons encore du chemin à parcourir.
L'autre prit un air contrit.
— Vous n'allez pas repartir le long des crêtes par cette chaleur. Ce soir vous dormirez au frais, et nous pourrons parler un peu de votre quête. Quoi que vous cherchiez, je peux vous aider à le trouver. Je connais cette région et ses habitants, de tous bords, bien mieux que vous ne l'imaginez.
— Les fées aussi ?
Gurwen marqua un temps d'arrêt. Il demeura quelques instants songeur, le regard perdu dans le vide. Puis il se ressaisit.
— Les fées aussi, oui. Venez, j'ai un linteau qui pèse son quintal à soulever.
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Le Tombeau des Géants - 2 - La Cour des Poussières
FantasyAprès avoir découvert que son père n'est peut-être pas le magicien Morwan, la demi-fée Dérycée part à la recherche de ses origines à travers les Montagnes Noires. Elle va à nouveau croiser la route de Ruz, l'androloup qui a perdu le contrôle de ses...