Le palais de la lune - 2 -

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Ruz se courba pour se dissimuler derrière la margelle. Le bassin ne lui fournirait pas un abri si elle décidait de le chercher dans les jardins. Rampant jusqu'à un fourré, il s'éloigna le plus discrètement possible et regagna le palais, très préoccupé par ce que le miroir d'eau magique venait de lui révéler. Où se trouvait cette ville en ruines ? Pouvait-il demander à la déesse de le laisser partir à la recherche de la changeline ? Voire, de l'aider ? Le temps jouait en sa défaveur : Dérycée était en danger.

Anxieux, il arpenta les salles du palais, jusqu'à trouver Sirona, installée sur une terrasse.

— Je me demandais où tu étais passé, avoua-t-elle.

— Je visitais le domaine.

— Tu es nerveux.

— Je m'inquiète pour Dérycée.

— Faut-il toujours que tu t'inquiètes ? rétorqua-t-elle, agacée. N'es-tu pas à ton aise ici, avec moi ?

— Si, bien sûr.

— Alors, repose-toi un peu à mes côtés. Tu poursuivras ta quête plus tard. Je sais que rien ne pourra t'en détourner, je te connais, Ruz. La changeline va au devant de son destin, il lui faut un peu de temps.

— Mais elle risque la mort.

— Aurais-tu la présomption de t'estimer plus fort que la mort ?

Ruz ne comprenait pas où la déesse voulait en venir. Elle se leva et fit courir un doigt le long de sa joue.

— Rien ne presse. Dérycée a rendez-vous à la cour du prince Kraalenth. Tu arriveras trop tard pour l'en détourner, quoi que tu fasses.

— Tu pourrais m'y emmener. Tu as des pouvoirs !

Sirona se détourna et lui offrit un regard mutin.

— Je pourrais. Mais tu m'as désobéi. Tu es allé consulter le miroir de la lune. Quelle confiance puis-je avoir en toi ?

Elle lui adressa une moue moqueuse.

— Crois-tu, belle âme, qu'on puisse de la sorte se jouer d'une déesse ?

Ruz comprit qu'elle ne le laisserait pas partir. L'esprit inquiet, il accompagna la déesse aux sources d'eau chaude, se baigna avec elle, déjeuna, lui rendit l'amour qu'elle lui offrait et, dans ses bras, oublia peu à peu ses tourments. Sirona avait un don pour apaiser son esprit.

— J'ai une surprise pour toi, lui murmura-t-elle.

S'enveloppant dans un voile léger, elle se leva et, avec un sourire mystérieux, lui fit signe de la suivre. D'abord interdit, admiratif de sa grâce, belle et lumineuse dans ce monde sans contrastes, il mit un temps à réagir.

— Habille-toi, nigaud, s'amusa-t-elle.

Lui prenant la main, elle l'entraîna vers les jardins. Au fur et à mesure qu'ils s'enfonçaient sous les ramures, l'écho d'une fête leur parvint, étouffé par la végétation. Il y avait des chants, des percussions et des flûtes, dont les notes s'envolaient dans la nuit. Au détour d'une haie, ils débouchèrent sur une clairière aménagée de fauteuils, de tables basses et de coussins. Des lanternes multicolores drapaient d'ombres chatoyantes les feuilles des arbres d'argent. De longues guirlandes fleuries dégringolaient des branches, coiffant les participants de serpentins colorés. En cercle autour d'un groupe de musiciennes, fées et félauds festoyaient gaiement, drapés de costumes flamboyants, servis par des faunes aux corps huilés. Aussitôt, la présence d'un couple dépareillé attira l'attention de Ruz. Gaurwelle, ses cheveux sombres coiffés avec art, l'observait, ses iris d'un vert émeraude brillant dans les lueurs du banquet. Pour l'occasion, elle avait revêtu une robe d'un bleu saphir, brodée d'arabesques dorées, et la pâleur de sa peau faisait ressortir le carmin profond de ses lèvres. À son côté, dénotant avec l'aspect farouche et déterminé de l'androlouve, un grand échalas à la peau d'un brun peu commun et aux cheveux noirs tournait son regard aux paupières lourdes vers les musiciennes. Ses bras pendouillaient le long de son corps, comme s'il ne savait quoi en faire. Quand il aperçut Ruz, son visage s'illumina d'un sourire radieux. Aussitôt, Ruz comprit qui il était.

Le Tombeau des Géants - 2 - La Cour des PoussièresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant