Le spectre d'Ys l'éternelle - 2 -

86 19 0
                                    

À son réveil, elle se trouva étendue au milieu d'un coussin circulaire, enfouie sous un édredon à l'odeur rance. L'esprit toujours captif des mailles du sommeil, elle se frotta les paupières pour tenter d'y voir plus clair. Un mince filet de lumière dorée faisait danser l'ombre des rideaux. Après quelques instants de désorientation, elle parvint à raccrocher les pans de la réalité, nouant un par un les derniers souvenirs de sa descente dans l'Annwyn. De l'autre côté des tentures qui isolaient son alcôve, deux personnes discutaient à voix basse. Intriguée, elle se glissa hors des couvertures, constatant au passage qu'on l'avait délestée de ses bottes et de son manteau, et tendit l'oreille. Elle reconnut la voix de Maden, qui s'exprimait dans la langue des fées, une langue qu'elle comprenait sans pourtant l'avoir jamais apprise.

— ... retourner au Sidhe ? Et y subir le courroux d'Obéron ? Sans compter la traversée des landes du demi-jour. Il nous faudrait échapper aux carascandres, franchir la porte sous les museaux amicaux d'Anke et Akram, traverser la mer intérieure à la nage en priant pour que le Léviathan ait choisi d'hiberner... Tout ça pour quoi ? Pour une fée égarée ?

Son interlocuteur parlait trop bas pour qu'elle puisse décrypter ses chuchotements.

— Non, ce n'est pas la Dernière Née... Un moment, j'avoue, j'y ai cru. Oui... j'ai voulu y croire. Mais tu sais bien qu'ici il ne faut jamais se fier aux apparences.

Il y eut de nouveaux chuchotis.

— Bien sûr que c'est une fée ! Les hommes redoutent l'Annwyn, pour les rares qui en connaissent les accès... invitée par qui ? Une bansidhe ? Arrête, sois logique un peu... Enlevée par l'ogre ? C'est possible, mais ces bêtes s'aventurent rarement dans le monde des hommes. Qu'est-ce que celui-ci serait allé faire là-bas ?

Un fumet de friture franchit soudain la barrière des rideaux, éveillant un gargouillis indécent au creux de l'estomac de Dérycée. La discussion s'éteignit aussitôt et, quelques instants plus tard, une main glissa le long de la tenture. La jeune fille tira la couverture sous son nez. Maden ne s'y laissa pas prendre.

— Bien dormi ?

Elle opina timidement. Le visage du félaud s'éclaira d'un sourire.

— Tant mieux, quand on dort autant, il est préférable que ça se passe bien.

Elle se redressa, piquée par la remarque.

— Combien de temps ?

Il haussa les épaules.

— Quelle notion pourrais-je employer ? Un jour, une nuit ? Ici, ça n'a aucun sens. Je me contenterai donc de « longtemps ».

Il indiqua un chevalet couvert de vêtements.

— J'ai fait les coffres. J'ai mis tout ce que j'ai trouvé qui me semblait correspondre à ta morphologie. J'ignore tes goûts, je te laisse choisir.

La changeline avait trop faim pour s'intéresser à sa mise. Elle se leva et franchit le rideau en chemise débraillée. Assis sur un tabouret, les pieds dans le vide, un vieux lutin à la barbe broussailleuse l'accueillit avec un hochement de tête respectueux. Maigrichon, un bonnet planté de guingois sur le crâne, il tenait une timbale fumante entre les mains. Sur la table basse, une ligne de petits poissons nappés d'huile attira le regard de la jeune fille.

— Installez-vous, belle demoiselle, nous nous apprêtions à déjeuner. Je m'appelle Yourg.

Elle ne se fit pas prier, notant au passage que le lutin lui témoignait davantage de déférence que Maden. Elle avala tant et plus de poissons, ignorant leur goût aigre, sous le regard intrigué des deux hôtes.

Le Tombeau des Géants - 2 - La Cour des PoussièresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant