Les quartiers maudits - 1 -

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Dérycée demeurait prostrée à l'endroit où deux fomoïres l'avaient jetée, les bras fermés sur les lambeaux de sa tunique lacérée, la tête entre les genoux. Contre sa hanche pulsait une douleur dont la brûlure irradiait dans tout son flanc, ajoutée aux maintes plaies et blessures récoltées lors de sa descente aux enfers. Comme un mantra, la jeune fille concentrait sa haine envers l'oiseau-rat, imaginant les mille tourments qu'elle lui infligerait avant de lui reprendre son anneau de naissance.

Une voix aigrelette l'interpella :

— Bienvenue à la cour des poussières du prince Kraalenth, jeune fille.

Elle redressa la tête et tenta de percer la pénombre. Les larmes brouillaient sa vue. Elle écarta une mèche de cheveux qui lui collait au visage. Le décor confirma ce que son odorat lui avait déjà suggéré. Les quartiers des esclaves étaient sordides : plongés dans une obscurité glaciale et balayés par un souffle fétide. Un vieillard rachitique aux dents raréfiées se tenait au-dessus d'elle, les bras ouverts en un pathétique geste d'accueil.

— Une fée ! Un peu grande, de quel Sidhe est-ce que tu viens ?

— D'aucun. Je ne suis pas une fée.

Le vieillard ricana.

— Petite menteuse. Ton torque de fer parle pour toi. N'essaie pas de jouer à ce jeu avec moi, tu n'en tireras que des ennuis.

Dérycée détourna le regard. À quoi bon discuter avec cet idiot ? Autour d'eux, le dortoir exigu comportait six paillasses. Elle distingua quatre silhouettes. Dans un angle, une femme avec des oreilles d'âne se terrait sur sa litière et observait craintivement les autres occupants de la pièce. Son regard triste se posa sur la changeline. Ses grands yeux noisette illuminaient un visage frappé d'une particularité effrayante : la bouche en avait été effacée, comme par magie. Comment pouvait-elle se nourrir ?

N'eussent été ses terrifiantes mutations et son air apeuré, elle aurait fait une demoiselle avenante. Le vieux la désigna d'un geste méprisant de la main :

— Kraalenth s'amuse parfois à nos dépends, dit-il sans trace d'émotion dans la voix. Timorelle en a fait les frais. Méfie-toi toujours des démons.

Il se tourna vers un autre angle de la pièce. Assis sur un tabouret, armé d'un sourire dédaigneux, se tenait une créature ramassée sur elle-même, à mi-chemin entre le nain et le lutin.

— Lui, c'est Folk, le farfadet déchu.

Plus petit que Dérycée, il semblait néanmoins bien plus robuste.

Non loin, un jeune garçon d'une dizaine d'années se grattait la tête avec vigueur.

— Là-bas, c'est Tréhuel, né ici, fils d'une esclave.

Le pauvre enfant ne rayonnait pas d'intelligence, mais comment aurait-il pu ?

— Enfin, le gamin avec la gueule cassée, c'est Cochon. Il s'est fait refaire le portrait par un troll blagueur.

En effet, le jeune garçon avait les dents de devant et le nez bien abîmés, ce qui le forçait à respirer bruyamment et à parler en expédiant une cascade de postillons. Dérycée lui aurait donné dans les treize ans. Elle apprit plus tard qu'il avait été capturé à l'âge de cinq.

— Voilà ta nouvelle famille. Moi je m'appelle Auguste, fit le vieux. Je suis responsable du quartier des maudits, qui comporte une vingtaine d'alcôves telle que celle-ci. Si le maître se plaint de quoi que ce soit, c'est sur moi que ça retombe. Je me charge de punir en retour, à ma façon, le ou les coupables. C'est souvent radical... je connais des gobelins vicieux qui ne laissent pas de traces.

Le Tombeau des Géants - 2 - La Cour des PoussièresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant