Le Tombeau des Géants - 2 - La Cour des Poussières

Les loups de Bélial - 1 -

Juché sur un éperon de roche décharnée, figure de proue d'un navire immobile, Dunyech patientait. À perte de vue, le paysage ondulait sous une herbe sèche et chétive, ponctuée de blocs granitiques décomposés par le temps. Le vent courait sur la lande et ses bourrasques facétieuses jouaient à lui dérober son couvre-chef. Une main plaquée sur la tête, une autre en visière de son œil valide, il scrutait la ligne erratique de l'ancienne voie romaine. Les pavés, jadis si soigneusement entretenus, disparaissaient désormais entre les touffes de chiendent.

Enfin, un homme franchit la première crête, sa silhouette détourée par l'éclat du soleil matinal. Après un regard circulaire, il s'engagea dans la pente. Dunyech le vit approcher avec curiosité. L'inconnu se dirigeait ostensiblement vers lui, il ne pouvait donc s'agir que de Korem. Pourtant, rien dans sa physionomie ne collait avec l'androloup qu'il avait quitté quelques jours plus tôt. Plus petit, des mèches cuivrées, un visage lunaire dont les traits lui semblaient pourtant familiers, un sourire radieux, de ceux qu'on arbore quand on est satisfait, fier, vainqueur... Son attitude déterminée acheva de convaincre Dunyech qu'il s'agissait d'un masque. Un autre androloup ? Peu probable, il connaissait tous les Accomplis.

— Salut, Dunyech ! fit le nouveau venu depuis le pied du rocher.

Le vieux métamorphe fronça les sourcils.

— Ton visage ne m'est pas inconnu. Pourtant, ton nom m'échappe.

— Le nom associé à ce visage ne te dirait rien. En revanche, tu me connais très bien. Sinon, comment aurais-je su que nous avions rendez-vous ici ce matin ?

— Korem ? Mais... la règle des avatars...

Le jeune homme balaya la remarque d'un geste de la main.

— Au diable les règles de Fendhel ! Désormais, je prends autant d'apparences qu'il me chante.

Dunyech posa machinalement la main sur le pommeau de son glaive. Il avisa la ceinture de Korem, sa dague, les taches de sang qui éclaboussaient sa cape de drap écru.

— Qu'est-ce que tu racontes ? Tu oublies que nous chassons Ruz parce qu'il a enfreint nos lois ?

Korem secoua la tête.

— Aurais-tu réussi à te convaincre toi-même de ce mensonge ?

Depuis son promontoire, Dunyech aperçut plusieurs formes à l'horizon, progressant dans leur direction. Des loups. Têtes basses. Oreilles couchées. Les museaux au ras de l'herbe.

— Ce mensonge, c'est la vérité que tu dois te fourrer dans le crâne, si tu veux le garder sur tes épaules. Qu'est-ce qui te prend ?

— Il me prend l'envie de chambouler nos plans. À notre avantage, bien sûr.

— La mort de Nandreval t'aurait-elle donné des idées de grandeur ?

— De démesure, même !

Il sourit. Derrière lui, cinq loups convergeaient au petit trot.

— écoute, mon ami, reprit-il, j'ai fait une rencontre qui va bouleverser le monde. Les loups d'Ogmios, c'est fini. Les androloups, du vent ! Bélial nous propose bien mieux...

— Bélial ?

— Le frère de Celui Qui Marche Sur l'Eau, fils du dieu unique. Mon nouveau maître et, j'espère, le tien bientôt. Un Seigneur amené à régner pendant des millénaires.

Dunyech caressa son pommeau et lâcha son chapeau. Le vent en profita pour le lui ravir en ébouriffant sa tignasse grise.

— Ainsi, ce que disait Gaurwelle est vrai. Tu bois à tous les ruisseaux...