La chapelle aux pierres dressées - 1 -

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Dans la fraîcheur du matin, une forme étrange émergea de la brume. Une image contre nature : celle d'un homme-loup à cheval sur une licorne. Au flair, Ruz guidait son ami Per pour leur éviter de croiser bûcherons ou brigands, seuls êtres humains susceptibles de séjourner au fond des bois de Conveau. Les arbres s'étageaient dans la pente, découpant les rayons du soleil en bandes de lumière éclatante. Ils cheminaient en tournant autour des hêtres et des chênes séculaires couverts de lichens, la terre humide absorbant le pas du cheval comme s'il avait paré ses sabots de chaussons molletonnés. Bercés par le calme de la forêt, les deux compères profitaient des arômes d'écorce et d'humus.

Un mouvement attira le regard de Ruz. À travers les rangées d'arbres, un homme accroupi les épiait depuis le sommet d'un talus. Le contre-jour découpait sa silhouette et faisait ressortir les bois de cerf qu'il portait sur la tête. Ruz sursauta. Un arbre lui masqua la vue. Le temps de le contourner, l'observateur avait disparu.

— Per, redescends un peu au nord. J'ai cru voir quelque chose.

Ils poursuivirent leur route au creux d'un vallon dans lequel courait un ruisseau. En remontant au sud, Ruz entrevit de nouveau la silhouette, au loin, postée sur une arête à la lisière d'un bosquet d'ifs.

— Par là ! Plein ouest.

Le cheval renâcla. Le terrain était accidenté et le loup-garou pesait son poids. Ruz finit par mettre pied à terre, les sens aux aguets. L'inconnu prenait soin de se positionner face au vent.

— Cernunnos... murmura Ruz.

Un pressentiment le poussa à se retourner. Le mystérieux inconnu aux bois de cerf se tenait immobile dans l'ombre d'un chêne centenaire.

— Cernunnos !

L'androloup remonta la pente en zigzaguant entre les troncs. Plus personne ne l'attendait en haut. Depuis la crête, une perspective dévoilait les landes du sud et plongeait jusqu'au sommet voisin. Là-bas, assis sur un éperon distant, l'homme aux andouillers l'observait, jambes croisées. À moins de pouvoir voler, il faudrait suivre le flanc de la montagne pendant un bout de temps pour le rejoindre.

— Vers l'ouest... le long des sommets. On change de destination, Per.

Aucun chemin ne longeait les cimes, aussi arpentèrent-ils tant bien que mal les sentes mal tracées qui louvoyaient entre les massifs de fougères et les saillies granitiques. Peu avant midi, les derniers arbres laissèrent la place à un sol d'herbes drues, de buissons colorés, jaunes de genêts ou pourpres de bruyères, et de touffes de petites fleurs roses. Ils demeurèrent sur le flanc nord, moins escarpé. Ruz profita de leur marche pour raconter ses récentes aventures à Per. Le cheval, devenu licorne, poussait de temps en temps un petit hennissement interrogatif ou admiratif. Le paysage défilait autour d'eux, et ils en perdaient la notion du temps. Sans s'en rendre compte, ils aboutirent sur un plateau couvert de hautes stèles de granit. Quand il comprit où il se trouvait, Ruz fit un bond en arrière et s'éloigna du cercle des mégalithes, aussitôt imité par Per. Devant eux, un mamelon de terre formait une butte haute comme deux hommes. Deux stèles de pierre encadraient l'accès d'une cavité creusée dans le tumulus. À l'extrémité du sanctuaire, une bâtisse courtaude émergeait entre des échafaudages de fortune et de tas de cailloux. Un homme à demi nu empilait des pierres le long d'un muret. Son crâne tondu, à la mode monastique, présentait tous les signes d'un coup de soleil. Il dut percevoir de quelque façon leur arrivée, car il cessa de sceller ses moellons pour se retourner. Même à cette distance, il émanait de lui une forte odeur de transpiration et de vinaigre. Plutôt grand, mince, les tempes grisonnantes, il cachait ses yeux clairs derrière un regard sombre. Une cicatrice barrait sa joue, fin ruisseau au milieu d'une forêt de poils blonds parsemés de blanc. S'il s'inquiéta de voir un loup-garou et une licorne approcher de son domaine, il n'en montra rien. D'un geste nonchalant, il attrapa une outre de cuir et s'en aspergea le visage, avant de boire une longue rasade. Ruz et Per n'avaient pas bougé, indécis. Finalement, l'homme leur fit un signe amical. Les deux compères échangèrent un regard étonné. La situation leur paraissait irréelle. Ils longèrent le périmètre du sanctuaire et approchèrent de l'ermite. L'homme s'était assis sur un tas de gravats et les observait avec curiosité. Ruz nota qu'il s'était installé derrière une ligne de pierres qui courait au sol et reliait cinq des plus hauts menhirs.

Le Tombeau des Géants - 2 - La Cour des PoussièresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant