L'appel de la montagne - 1 -

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La soirée était douce. Un ciel pastel, parsemé d'étoiles naissantes, offrait à la jeune voyageuse un dais protecteur en dégradé de mauve. Le chant des grillons accompagnait ses pas à travers la lande dorée, animée par le ballet des insectes qui tourbillonnaient dans les dernières lueurs du jour. Au-dessus de sa tête, les hirondelles virevoltaient en ponctuant leurs danses de cris aigus. Dérycée se sentait apaisée, soulagée d'avoir enfin réussi à prendre une décision. Le parfum des champs au repos embaumait le sentier, fin lacet bordé de buissons de genêts et de mûriers sauvages. Elle avançait d'un pas rapide, chaussée de bottes de cuir souple, un bâton de marche dans la main droite. La fatigue des derniers jours, autant nerveuse que physique, s'était estompée dès qu'elle avait franchi la poterne de Trolly-Breuil. Le crépuscule avait couvert son départ. Un départ en forme de fuite, même si elle savait qu'il n'en était rien. Elle voulait juste être seule. Elle ne souhaitait répondre à aucune question, n'avait aucune envie qu'on la sermonne ou qu'on tente de la convaincre de la folie de son entreprise. Ses nuits sans sommeil avaient servi de terreau à sa réflexion et fait germer son projet. Une fois mûrie, l'idée avait suivi son chemin et abouti à l'évidence de sa quête. Elle regrettait de n'avoir pu inviter Ruz à la suivre. Il lui manquait, surtout son pelage dans lequel il faisait bon se blottir. Elle regrettait son ami le loup. Elle ne comprenait pas son besoin de se faire homme. Sa métamorphose avait créé une distance, brisé un rêve, changé leur amitié. Elle espérait qu'il reviendrait, et qu'il choisirait de respecter sa nature.

Le chemin obliqua à travers une futaie de chênes. La nuit recouvrait peu à peu le paysage de son dôme scintillant, peignant d'un œil lunaire des décors fantasmagoriques peuplés d'ombre et d'argent. Dérycée suivait la ligne claire du sentier. Pour cette première étape, elle s'était fixé un objectif raisonnable : atteindre les bois de Conveau et profiter de l'abri de la Pierre-aux-soupirs. Elle connaissait bien l'endroit. Plus jeune, le dolmen lui avait maintes fois servi de cachette secrète pour contacter les esprits de la forêt. Le lieu était propice aux bonnes rencontres et réputé comme cercle de protection contre les Korrigans. Elle pourrait s'y reposer avant de poursuivre vers le chaos rocheux des Crocs des Géants. Elle se raccrochait à cet unique indice : Paolig avait mentionné un « Tombeau des Géants » dans sa brève allusion à Azufel, l'homme qu'il présentait comme son vrai père. Elle espérait que les géants avaient leur tombeau non loin de leurs crocs. C'était mince comme piste, mais elle comptait glaner davantage d'informations en route. C'était aussi une des raisons de sa première halte : le dolmen de la Pierre-aux-soupirs lui permettrait peut-être de croiser des gens du petit peuple. Ils sauraient sûrement lui en dire plus sur ce tombeau.

Toute à ses pensées, elle longea le ruisseau du Goaranvec, dont les eaux sombres luisaient de reflets lunaires. À la lisière de la futaie, elle aperçut l'épaule des Menez Du, les Montagnes Noires, affaissée contre l'horizon. Au milieu du massif, une pointe saillait comme un défi lancé aux étoiles : le Roc'h Toull Al Laeron. Plus loin, l'ancienne tour d'alarme de Karreg an Tan veillait sur la lande endormie. Dérycée obliqua vers le sud-ouest, vers l'ombre d'une forêt qui épousait le flanc des premiers reliefs. Elle n'atteindrait pas la Pierre-aux-soupirs avant la mi-nuit, mais elle ne se sentait pas fatiguée, et l'obscurité ne lui faisait pas peur.

Quand la lune effleura le sommet du Roc'h Dialc' Hwez, étirant les ombres sur le pays, un long hurlement résonna depuis le flanc des collines. Il se répercuta en échos dans la plaine avant de recevoir une première réponse depuis les bois, suivie peu après d'un concert de jappements stridents. Un chant de meute. Des loups se rassemblaient. Dérycée pouvait comprendre leur complainte. Elle frissonna. Ils étaient en chasse. Pas une chasse comme les autres. Ils traquaient l'un des leurs. Leurs gorges criaient vengeance et mettaient en garde quiconque se dresserait sur leur chemin.

La jeune fille accéléra le pas et s'engagea dans l'ascension de la première crête. Au bout du sentier, elle avisa un affleurement de schiste en forme de lames. Il lui fournirait un abri tout en lui permettant de surveiller les alentours. Avant qu'elle ne l'atteignît, un grognement rageur derrière elle l'obligea à se retourner. La nuit enveloppait la route qu'elle avait parcourue. Son cœur cognait dans sa poitrine. Le bâton de marche dressé, prêt à frapper, elle scruta la lande. Une forme indistincte jaillit d'un fourré et traversa le sentier pour disparaître aussitôt dans un bosquet. Dérycée sursauta, mais n'eut pas le temps de réagir. Déjà, les froissements dans les fougères s'éloignaient. Son regard s'attarda sur la brande, avant d'être attiré par un autre mouvement à la périphérie.

Émergeant de la futaie, un homme coiffé d'un chapeau à large bord s'engageait sur le chemin, un loup sur les talons. Dérycée hésita. L'homme ne l'avait pas vue, mais s'il suivait le sentier, il ne manquerait pas de la croiser. Or, elle ne souhaitait être vue de personne. Se ramassant pour éviter de trahir sa présence, elle se détourna et remonta la pente courbée en deux. Arrivée au sommet de la bute, elle s'enfonça dans les buissons et courut se réfugier entre les hautes griffes de pierre. Ignorant la morsure des ronces, elle escalada le plus haut morceau de schiste et se blottit dans un renfoncement. Le souffle court, elle enfouit sa bouche dans la manche de son manteau et guetta l'inconnu. Une ombre se faufila entre les pierres. Elle retint sa respiration.

Le Tombeau des Géants - 2 - La Cour des PoussièresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant