SIX

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Après notre départ de l'appartement, nous avons pris la route en direction du complexe hospitalier de Garches et la pluie qui s'était arrêtée de tomber depuis plusieurs heures, a repris de plus belle. Sur la voie rapide, le véhicule gris anthracite dans lequel nous nous trouvons, fend le rideau d'eau à vive allure sur un air d'Ace of Spade, musique du groupe de métal Motörhead. Les essuie-glaces sur le pare-brise battent frénétiquement, essayant d'évacuer l'eau qui vient s'écraser avec force sur le verre. Il pleut si fortement que les phares peinent à éclairer correctement le chemin de bitume, qui maintenant, ressemble à un étrange miroir d'encre.

Pendant le trajet, je ne réussis pas à résister à l'envie de chanter comme une idiote sur les diverses musiques que l'on écoute, ce qui provoque chez nous deux, quelques crises de rires bienvenue. Non pas que je chante mal ou faux, mais je le fais d'une façon très comique avec un grand sourire aux lèvres.

Jean, quant à lui, conduit si vite qu'il nous faut moins d'une demi-heure pour nous rendre à destination. Cependant, plus le temps passe, et plus je me sens affamée. Dans mon ventre, je commence à ressentir les toutes premières crampes qui accompagnent les longues périodes d'abstinences et malheureusement, je sens que ce soir, je ne suis pas arrivée encore au bout de mes peines.

À notre arrivé dans les locaux, nous sommes rapidement accueillis par un homme assez âgé en tenue de protection vert pomme, qui en me voyant, affiche un air des plus circonspect. Il n'avait pas du tout l'air de s'attendre à ma présence et probablement encore moins de voir débarquer une fille, si différente, tant par son apparence, que de la manière dont elle se trouve être vêtue.

En somme, j'ai le look de la parfaite petite soft‐goth albinos, sans excès et sans mauvais goûts. Lunettes et blouson en cuir épais ; débardeur et pantalon cargo ; rangers aux pieds, le tout en noir et rehaussé de plusieurs piercings en acier savamment placés.

Mais contrairement à ce que j'aurais aimé, je ne possède pas de tatouages. Mon organisme, mon système immunitaire, rejette l'encre comme tout type de corps étranger qui pourrait y pénétrer. Mais étrangement, il arrive tout de même à tolérer les piercings.

La chair d'un vampire guérit avec facilité autour de ces petits ornements de métal. Toutefois, pour ce qui serait des éléments beaucoup plus gros, comme par exemple, le fameux pieu en bois que l'on destine aux vampires dans les histoires, c'est un non catégorique. Mon système régénérateur, aussi puissant soit-il, n'arrive pas à de tels miracles.

J'ai appris ce fait à mes dépens, lors de l'un de mes accidents passés. C'était au printemps, dans les années cinquante, quand je m'étais aventurée à escalader la façade d'un immeuble. Je devais accéder à l'un des logements pour faire taire un type, quelque peu trop curieux de ma personne. Mon ascension, qui ne devait être qu'une simple formalité, a subitement pris une tournure dramatique : j'ai perdu prise. Plus exactement, l'élément dont je m'étais saisie s'est descellé et en tombant, je me suis empalée sur une barrière en fer forgé située en contrebas. La structure n'a pas résisté au choc et s'est brisée sous mon poids. Les éperons de fer m'ont complètement traversé de part en part au niveau de mon abdomen, évitant de peu ma colonne vertébrale, ou tout organe vital.

C'est l'un de ces rares moments où ma mémoire me fait défaut. Je ne me souviens plus exactement comment tout s'est déroulé après ma chute. Les événements ne sont que de courtes successions de fragments de conscience. Toutefois, le peu dont je me rappelle, c'est qu'après plusieurs heures sans parvenir à guérir, j'ai dû extraire un certain nombre de tiges en métal toujours restées coincées en moi.

Plusieurs heures d'agonie. Allongée dans mon sang. Sous un pont. Heureusement que l'affaire s'est produite de nuit et qu'il n'y avait personne pour assister à la scène.

- Schen ùndjé -- Le sang des innocents -Où les histoires vivent. Découvrez maintenant