ONZE

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Cela me semble durer qu'une minute ou deux dans le monde réel, ou peut-être même bien plus. En vérité, j'ai complètement perdu la notion du temps. Et lentement, alors que je reprends conscience mon corps qui guérit à une vitesse inhumaine est devenu un berceau de douleurs des plus effroyables. Mes os bougent en moi, se remettent en place, se ressoudent rapidement dans des bruits humides. Et je ne sais pas par quel miracle, je me trouve encore en vie après une telle chute. Nos corps inhumains sont vraiment bien plus résilients que je ne le pensais—si l'avais été à ce moment-là, il y a longtemps que je serais déjà morte.

Aussi merveilleux que ce soit pour moi, néanmoins cette pensée ne me rassure pas du tout, car elle sous-entend que mon heureux ami qui m'a accompagné dans ma chute, est lui aussi probablement en vie quelque part. Alors que la douleur recède lentement, je ressens une présence à mes côtés. C'est Jean. Il semble être descendu précipitamment de l'appartement pour me porter secours et vérifier, s'il y a une infime chance que je sois encore vivante après une telle chute. Je le sens me manipuler ici et là, cherchant un moyen de savoir si je respire encore ou non, et de savoir si mon cœur bat toujours.

N'arrivant pas à le faire, il se saisit fermement de mon corps et c'est avec d'extrêmes précautions, qu'il me bascule délicatement sur mon dos. Il grogne quand il découvre ce qu'il est advenu de mon visage. Car bien que la grande majorité de mon corps ait déjà bien récupéré, seule cette partie doit encore ressembler à une sorte de steak haché plein de sang, truffé d'esquilles d'os. D'une main couverte de latex, il tire délicatement sur le haut de mon vêtement, pour découvrir la base de mon cou, afin d'étudier l'étendue de la morsure que m'a infligée mon assaillant. Il doit probablement observer mes nouveaux muscles croître à vue d'œil, remplaçant ceux qui ont été arrachés par ce fou furieux, ou admirer la peau recoloniser peu à peu, là où elle a complètement disparu. Franchement l'image en elle-même, ne doit pas être très ragoutante à voir.

Il se penche vers moi—je le sens—pour essayer de percevoir un souffle, un quelconque signe de vie, puis il se redresse légèrement et vient coller une oreille contre ma poitrine. Tout comme moi, je sens qu'il est terrifié, car il entend exactement la même chose que moi : un silence de mort a pris place au sein de ma poitrine.

Mon puissant cœur d'immortelle a cessé de battre.

— Non, merde Lara, tiens bon ! Ça va aller.

Vue ma situation désespéré, il n'entreprend pas de me faire un massage cardiaque, par peur d'empirer mon état, et de me tuer définitivement. Il attend impatiemment que les secours viennent avec du matériel spécialisé pour me sauver, si c'est possible, et de m'évacuer vers l'hôpital le plus proche.

— M'sieur, elle est en vie ? Dit une voix qui m'est étrangère.

— Reste avec moi, t'entend ! Les secours sont en route. Lara, t'entend !

L'un des jeunes du quartier s'est décidé à s'approcher de nous. Au son de sa voix, je peux estimer qu'il se trouve à quelques deux ou trois mètres approximativement de ma position. J'imagine que ce sont les coups de feu qui l'ont attiré ici, ou le fait de me voir chuter et m'écraser lourdement en contrebas. Voir même les deux. Après tout, quelle importance ça peut faire, finalement ?

Dans ma poitrine, il y a une soudaine contraction. Une puissante. Mon corps se cambre en arrière quelques instants et mon cœur, qui avait arrêté sa course éternelle, reprend vie d'un coup. Mes poumons se remplissent d'air dans un désagréable sifflement. Depuis tout ce temps, j'étais en arrêt cardiorespiratoire, au seuil de mon propre trépas, mais tout de même, toujours consciente de mon environnement.

Honnêtement, j'aurais préféré que ce ne soit pas le cas et je me demande combien de temps j'aurais pu encore rester en vie—si j'ose dire—avec un cœur à l'arrêt. Dix, vingt minutes ou plus encore ? Pour le coup, c'est la toute première fois que ça m'arrive. Du moins je le pense, car je ne me souviens pas qu'une telle chose se soit déjà produite. Mais bon après tout, quand les conditions sont réunies, il est possible que je ne mémorise pas certains faits.

- Schen ùndjé -- Le sang des innocents -Où les histoires vivent. Découvrez maintenant