QUATRE

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Versailles,

21ème siècle.

21heure50.

Il n'y en a qu'une.

Juste une seule crampe. Brève, douloureuse. Tel un coup de poing porté à mon estomac. Elle est si forte qu'elle me sort de mon profond sommeil. En un instant, je passe de mes rêves lucides à la dure réalité de ce monde. Un monde plongé dans une obscurité qui pour moi, est étrangement lumineuse et rassurante. Mon petit monde fait de draps de soie noire, froissés et humides de sueur. De de riches tapisseries rouges et noires sauvées de ma quasi-ruine d’Écosse. D'étagères parfaitement rangées, couvertes de livres alignés et autres bibelots glanés à travers mes voyages dans le monde et, d'une antique horloge comtoise, qui seule égrène inlassablement les heures dans un coin de la pièce mansardée.

Dans ce monde, ce sanctuaire, qu’est le mien, il y a juste une douce mélodie qui berce ce lieu : celle de la pluie glacée qui s'abat sur les vitres de ma chambre.

Dans le monde extérieur, celui des autres, des mortels. Une nouvelle nuit de léthargie commence doucement. Pour moi, cette nuit s'est finie avec brutalité.

Honnêtement, il y a des jours où j'en viens à me demander si la vie de cette enfant malmenée par son horrible famille, si ma rencontre avec ma défunte compagne, sont de réels souvenirs et non, des chimères nées du fruit de ma solitude et de mon imagination tordue. Parfois même, je me demande si je ne suis pas une de ces personnes qui passent leur temps à confondre rêve et réalité, ou encore si je ne suis pas atteinte par une sorte de schizophrénie.

En vérité, j'aimerais parfois que ce soit le cas. Que ma vie si différente ne soit qu'un long rêve douloureux duquel, un jour probablement, je réussirai enfin à en sortir. À l'échelle de ma longue existence, bien trop courts ont été les moments de réelle plénitude, de joie, de bonheur.

On dit souvent qu'on se souvient mieux de ses peines que de ses joies passées, ce qui pour moi n'est pas l'exacte vérité. Je me souviens tout aussi bien des premières que des secondes. C'est juste que ces souvenirs me paraissent plus marqués. Ils sont tels d'éternelles scarifications sur mon âme, tels des cicatrices gravées à jamais sur mes avant-bras.

Rapidement, je repousse quelques mèches d'ivoire qui passent devant mon visage, puis j'étends mes bras au-dessus de moi pour observer les quelques gouttelettes du fin voile de sueur légèrement rosé, qui parsèment toujours ma peau de craie. L'aspect rosé de cette sueur n'est pas le fruit d'une quelconque maladie. En réalité, elle prend uniquement cette étrange teinte quand un peu de mon sang vient se mélanger avec ma sueur et survient quand j'essaie de repousser mes limites. La vérité, c'est que je ne suis pas humaine. Plus exactement, je n'en suis plus une. Je suis une vampire. L'unique rejeton—si je peux dire—de la femme de mes rêves, de ma Sébile.

La créature que je suis n'embrasse pas les mythes racontés sur ceux de mon espèce. Je ne suis pas une de ces créatures mortes revenues à la vie, arpentant la nuit en quête du sang des vivants. En réalité, je n'ai aucune des faiblesses communément admises dans les histoires. Je ne recule pas devant les crucifix, l'ail ou les cours d'eau. Je ne finis pas non plus en un petit tas de cendres après avoir été exposée au soleil. Non, rien de tout ça. Comparé à l'être humain que j'ai été, je suis bien plus forte, plus rapide et plus agile.

Et toujours contrairement aux légendes, je ne possède pas de quelconques pouvoirs magiques ou autres charmes étranges. Je ne peux pas me transformer en sorte de brume, ni m'envoler dans les airs—bien que ma force me permette de sauter vraiment très haut. Séduire ou soumettre quiconque à ma volonté, que ce soit seulement par le son de ma voix, celui de mon regard, ou tout autre moyen plus ou moins insolite.

- Schen ùndjé -- Le sang des innocents -Où les histoires vivent. Découvrez maintenant