DEUX

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Des cris.
Lointains et étouffés.
Probablement ceux d'une jeune fille.

C'est tout ce qui me parvient dans ce lieu empli de ténèbres, dans lequel il n'y a aucun repère. Ni haut, ni bas. Ni même notion de temps. Dans ce lieu, je ne saurais dire si je suis allongée, ou même debout. Et ces cris... ils me donnent des frissons, me glacent le sang, semblent déchirer mon âme et m'invitent à me joindre à cette pauvre enfant, dans sa litanie de souffrances et de sanglots.

Sombre litanie, probablement vouée à complaire à de quelconques anges déchus. Des larmes et des sanglots, offerts aux êtres obscurs de l'au-delà, pour les amadouer, pour s'attirer leurs faveurs ; c'est ce que l'on raconte dans les croyances populaires après tout.

De toute ma volonté, je résiste à cette pressante supplique puis je me concentre sur cette douce sensation que je perçois dans cet endroit stupéfiant, en me focalisant uniquement sur cette étrange et agréable chaleur qui enveloppe mon corps, tel un intangible voile vaporeux.

Je me concentre pour essayer de bouger ce que je pense être mes bras dans le vide, paumes en avant pour essayer d'en saisir la provenance. Mais cette chaleur est absolument partout, sans origine précise. Elle est dans ce monde tels des flots éthérés, convulsants et mouvants, venant se contorsionner pour nimber mon corps d'enfant chétif et abîmé.

Corps que je ressens et dont je ne peux pour autant discerner les courbes, dans les ténèbres oppressantes de cet océan de néant. Puis à chaque instant, ces cris angoissants me deviennent plus distincts, plus vivants, toujours plus proches. Et la chaleur qui m'était si plaisante auparavant se mue rapidement en une vive déflagration de douleur. Elle est maintenant comme si des milliers d'aiguilles s'enfonçaient toutes en même temps dans ma chair. Comme s'il s'agissait de flots faits d'acide, se déversant sur ma délicate peau d'albinos. La douleur me brûle, me dévore, me consume. Je suis telle une sacrifiée, jetée dans un abîme noir insondable, offerte comme offrande aux insatiables dieux des larmes, de la souffrance et du tourment.

L'affliction s'empare maintenant de mon visage, de mon corps meurtri, de chaque portion de mon être qui progressivement reprend conscience de son existence. Je m'éveille là, allongée, dans un mélange de paille et de boue séchée, contre le mur extérieur de la grange familiale, réalisant enfin que cette jeune fillette ensanglantée qui crie, qui pleure, c'est moi vers mes quatorze ans.

C'est encore moi qui, une toute nouvelle fois, me trouve sous les furieux coups de poing de mon père alcoolique. De plus, je comprends également que la chaleur qui me brûle depuis le tout début provient en réalité des multiples coups que j'ai reçus quelques minutes plus tôt, juste avant de perdre conscience.

Mes paupières frémissent, puis mes yeux s'ouvrent péniblement et je me retrouve rapidement aveuglée par la clarté d'un grand soleil d'été. Éblouie que complètement éblouie, je parviens à deviner les contours indistincts de la silhouette d'un homme —fort et gras— à mes côtés.

Cet être immonde qui se tient à proximité de moi, qui me surplombe, a bien plus en commun avec une sorte d'ogre issu d'un mauvais conte de fées qu'un véritable être humain. Il vocifère profusément, tout en faisant de grands gestes dans le vide. Soudainement, il se baisse, se saisit de moi par l'encolure de ma blouse toute souillée d'un mélange de sang et de poussière. Puis, sans ménagement, il tire dessus, essayant de me soulever d'une main, son autre toujours menaçante. Toujours prête à revenir pour moi. Constamment avide de ma tendre chair pâle.

— Putain de monstre ! Les voisins se sont encore plaints de toi. Mais qu'est-ce que t'as bien pu encore foutre ! Hein ? Tu vas me répondre, petite salope !

- Schen ùndjé -- Le sang des innocents -Où les histoires vivent. Découvrez maintenant