ORION
Le temps est infini. Il passe d'une lenteur infernale et coupés du moindre repère temporel, il est impossible pour nous de déterminer depuis combien de temps nous sommes dans ce sous-sol. J'ai l'impression que ça fait une éternité.
Les hommes qui nous ont endormi comme des lâches nous ont déposés je ne sais où et ont profité de notre manque de conscience pour nous fouiller les poches et pour nous attacher à des chaises dans une salle sombre qui sent le moisi. Depuis, personne n'est venu nous voir. Après avoir passé les premières heures dans un silence presque complet pour mettre au point une stratégie, nous avons fini par appeler la confrontation à nous, mais personne n'a jamais répondu. À croire que nous sommes seuls ici.
C'est peut-être de cette manière qu'ils ont l'intention de nous tuer. En nous laissant nous affamer et nous assoiffer jusqu'à en mourir.
Il est probable qu'il nous ait réservé une mort aussi atroce, puisque ces dernières heures passées sans la moindre hydratation commencent déjà à peser. J'ai la gorge sèche, les narines qui piquent à cause de l'odeur et les yeux qui fatiguent à force de fouiller l'obscurité en espérant voir quelque chose.
Installé sur la chaise à mes côtés, Érèbe pousse un long et puissant soupir. L'ennui aussi est en train de nous peser. On se demande quand les emmerdes vont commencer, ce que nous allons devoir endurer prochainement, et si nous allons y survivre. Rien n'est gagné et nous ne comprenons pas ce calme. Ils veulent peut-être que nous nous torturons l'esprit à nous demander ce qu'ils comptent faire de nous et quand ils comptent s'y prendre.
Nous avons été placés en cercle, les uns en face des autres, ce qui n'arrange rien à la situation puisque nous passons notre temps à nous engueuler pour des bêtises. Aucune conversation que nous lançons ne finit pas en embrouille, alors nous avons fini par abandonner et gardons un silence quasi-complet.
J'ai un mauvais pressentiment. J'ai l'impression que cette attente cache quelque chose. Alors, pour ne pas perdre la tête et survivre aux prochaines heures qui risquent de ne pas être de tout repos, je me mets à penser à elle. J'ai cessé il y a quelque temps de penser à ce qu'elle doit ressentir et à quel point elle doit être paniquée. J'ai aussi essayé de réfléchir à la déception qu'elle a dû ressentir en rentrant à la villa et en découvrant que je n'étais pas présent. Elle a dû se demander si notre dîner tenait toujours.
Je me suis longuement pris la tête à imaginer que la nuit dernière était en fait notre dernière et que je n'ai pas su lui dire tout ce que j'avais sur le cœur. Je me suis contenté de l'écouter sans jamais lui dire que moi aussi je l'aime comme un fou et que je suis prêt à n'importe quoi pour la récupérer. Maintenant, c'est trop tard. Je vais mourir ici, et elle va continuer sa vie ailleurs, loin de tout ça et de toutes ces emmerdes.
Elle va probablement souffrir. Peut-être que c'est déjà le cas. Peut-être qu'elle est au courant et qu'Éros lui a dit ce qui s'est passé. En tout cas, elle souffrira à cause de moi, à cause de ma mort. Toutes ces constatations m'ont donné envie de vomir les dernières heures, c'est pourquoi j'ai décidé d'arrêter d'y penser.
À la place, je m'imagine à quoi aurait pu ressembler notre dîner. J'imagine ce qu'elle m'aurait dit, ce que je lui aurais dit, et comment ça se serait passé pendant et après. J'imagine le futur que nous aurions pu avoir et comment une vie calme et rangée aurait pu être pour nous. Ses pensées joyeuses sont les seules choses qui me permettent de tenir et de ne pas céder à la panique. Maintenant, plus que jamais, j'ai besoin d'elle, qu'elle soit dans ma tête, pas sous la forme d'une femme malheureuse, comme je l'ai rendu ces dernières semaines, mais comme la femme que j'aurais pu rendre heureuse parce que j'aurais décroché la lune pour elle. Sauf que je n'en aurai jamais l'occasion. C'est pour ça que je regrette de ne pas m'être confié à elle quand j'en avais encore l'occasion. Je regrette de ne pas lui avoir fait part de tous les projets que j'avais pour nous dans le futur.
– À votre avis, combien de temps il nous reste ? je demande.
Je ne supporte plus le silence. J'ai beau imaginer, imaginer, et encore imaginer mon futur avec Mélodie, chaque fois mes pensées dérivent vers ce qu'elle doit ressentir et ma future mort. C'est dur. C'est dur à accepter.
J'espère qu'Éros l'a prise et qu'ils ont tous les deux fichus le camp d'ici.
– Pas beaucoup de temps, dit Athéna la mine sombre.
Je soupire et regrette de ne pas pouvoir plonger ma tête dans mes mains. Contraint de rester assis sur cette chaise inconfortable avec ses liens serrés autour de mes membres, je vais finir par devenir fou. Mon corps est déjà courbaturé ce qui rend la situation vraiment inconfortable.
Mais bon, après tout ce n'est pas comme si je devais m'attendre à être reçu dans un palace.
– Éros va nous retrouver, annonce Nestor avec espoir. Non, pas avec espoir. Avec détermination.
Érèbe ricane de son rire moqueur habituel et lâche avec dédain.
– Éros n'a jamais mis un pied sur le terrain, alors vous pensez réellement qu'il va réussir à nous sortir de là ?
Il est très défaitiste, mais en même temps il a raison. Je ne vois pas comment il pourrait nous sortir de là aussi brillant soit-il. Il vaudrait mieux pour lui qu'il nous abandonne ici, et qu'il profite que l'attention de Gonzalez soit concentrée sur nous pour s'enfuir le plus loin possible en prenant Mélodie avec lui.
Je m'apprête à répondre quelque chose de bien sarcastique, quand un boucan retentit à travers la porte. Pour la première fois depuis des heures, du remue-ménage se fait entendre, ce qui n'est pas de bon augure.
Une lueur de panique traverse le regard d'Athéna, et je serre les poings. Maintenant, plus que jamais, nous allons devoir nous montrer soudés et unis face à l'ennemi. Parce que pour la première fois depuis que nous nous sommes liés pour travailler ensemble, nous descendons de notre piédestal et devenons les cibles. Nous changeons de camp et ce changement ne peut se terminer autrement que par notre mort et notre destruction. Le malheur que nous avons infligé aux autres ces dernières années nous revient à la figure puissance mille.
Le boucan continue à l'extérieur de la pièce et des brins de voix nous parviennent, sans que nous puissions identifier quoi que ce soit. Nous ne pouvons rien faire d'autre que de rester planté là et d'attendre que se passe ce qu'il doit se passer. Nous sommes pris au piège et à la merci de notre ennemi numéro un.
La porte finit par s'ouvrir et lorsque la lumière inonde la pièce, un râle rauque s'échappe de ma gorge et je ferme les yeux. Si j'en crois le grognement d'Érèbe, la lumière vient également de le foudroyer et il semble vraiment en colère.
Peu à peu, ma vision se réajuste, et je vois plusieurs hommes se tenir debout face à nous. Le premier que je vois est Andrès Acosta, la cible de ce contrat qui nous a tant coûté. Mais il n'est pas seul et je constate avec horreur qu'il tient une femme entre ses bras. Une femme qui essaye de se débattre et qui porte sur sa tête un sac en toile qui lui coupe la vue.
Une frayeur sans nom me prend les tripes, parce que je la reconnais. Même sans voir son visage, je la reconnaîtrais entre mille.
Je prends alors conscience de la raison de ce manque d'action des dernières heures et ne peut qu'observer avec horreur ce fils de pute retirer le sac, dévoilant ainsi le visage effrayé de Mélodie.
VOUS LISEZ
A Sweet Melody
RomanceIl n'était pas ce qu'il prétendait être Il n'était pas censé l'aimer Une infirmière. Un tueur à gage. Comment un combo aussi imparfait peut exister ? Mélodie a toujours su se contenter à elle-même et n'a jamais eu besoin de pimenter sa vie pour être...