Jour 30 - Esprit, es-tu là ?

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La Méchante Reine s'approcha du grand miroir d'un pas décidé. Elle devait savoir. Elle était persuadée que le Chasseur ne lui avait pas dit toute la vérité. Le coeur qu'il lui avait offert lui semblait... étrange. Non pas qu'elle n'ait jamais vu un coeur humain auparavant, mais quand même.

— Miroir, mon beau miroir, dis-moi qui est la plus belle du royaume, ordonna-t-elle.

Le miroir resta silencieux, ne lui renvoyant que son reflet aussi noir que la nuit, déformé par les ténèbres magiques qui faisaient son essence.

La Méchante Reine s'éclaircit la gorge. Peut-être ne l'avait-il pas entendu ?

— Miroir, mon beau miroir, dis-moi qui est la plus belle du royaume !

Elle resta de longues secondes les bras levés dans un geste dramatique, en vain. Le miroir ne se ralluma pas. Contrariée, la Méchante Reine fouilla dans ses tiroirs à la recherche du manuel Ikéa de son miroir magique. Elle le relut encore une fois, après tout, la technologie pouvait être capricieuse, mais après s'être assuré qu'elle avait beau avoir invoqué le bon démon du miroir, rien ne se passa.

Frustrée, elle tenta d'appeler le service client.

— Ouais, c'est pourquoi ?

— Mon miroir magique ne fonctionne plus ! Mon esprit du miroir ne veut plus se montrer. Réglez ce problème ! C'est un ordre !

— Ok, ma petite dame. Déjà, on va se calmer, hein, moi je suis payé au SMIC et je gagne certainement pas assez pour me faire insulter par une vieille mégère qui a trop d'argent a dépensé. Vous avez essayé de débrancher et de rebrancher votre miroir ?

— Bien sûr que oui, pour qui me prenez-vous ?!

— D'accord. Et ce démon du miroir, vous êtes sûr que vous l'avez bien invoqué ? Parce que la recette parle quand même du sang de neuf cent quatre-vingt dix-neuf chèvres, et en général les gens oublient de les compter. Vous avez vérifié que c'était bien le bon démon ?

— Puisque je vous dit que j'ai tout vérifié !

— Bon, alors ce que je vous propose, c'est de nous renvoyer le miroir en SAV, pourqu'on puisse vous faire un devis des choses à réparer, et puis on se recontacte par téléphone.

La reine soupira, agacée.

— Très bien, grogna-t-elle. Quand aurais-je des nouvelles de votre part ?

— Oh, bah, je sais pas moi. Deux à trois mois ouvrés ? Sans doute un peu plus, c'est bientôt Noël vous savez.

— Deux à trois mois ?! Et comment je travaille, moi, en attendant ? Vous savez combien ça coûte de se venger de sa belle-fille ? Je ne sais même pas si elle est vraiment morte !

— Écoutez, c'est à prendre ou à laisser. Au pire, on peut vous envoyer un démon le temps des réparations. On en a une qui s'appelle la Dame Blanche et...

— Ah non ! J'en ai marre des femmes à la peau aussi blance que la neige, j'ai assez donné ! Gardez-la votre pétasse ! Et gardez-le aussi votre miroir ! Et étouffez-vous avec !

Elle raccrocha de rage.

— Dame blanche, dame blanche, dame blanche... Dame blanche mes fesses, oui ! cria-t-elle. La Dame blanche, franchement !

Le miroir s'activa, alors que les douze coups de minuit sonnaient à l'horloge. La Méchante Reine poussa un cri de colère, elle avait accidentellement invoqué le démon, et le démon n'était pas trop, trop content.

— Tu sais ce qu'elle te dit, la pétasse ? hurla le fantôme d'une voix d'outretombe.

La Dame Blanche s'échappa du miroir et se jeta sur la Méchante Reine. Son coeur s'arrêta de battre d'un coup et elle s'effondra tête contre terre, son téléphone fermement tenu dans la main. 

Faucheuse en grève | Writober 2024Où les histoires vivent. Découvrez maintenant