Jour 29 - L'appel de la tronçonneuse

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Le banc de poissons s'éloigna au premier rayon de la Lune. Ils se dépêchèrent de rejoindre les rochers, plus en profondeur, effrayés à l'idée de se retrouver seuls dans le noir. On ne savait jamais vraiment ce qui se trouvait dans le noir.

Il y avait cette rumeur tenace qui se passait de génération en génération. Les soirs de pleine lune, les requins scies devenaient plus dangereux. Plus... monstrueux. Ils devenaient des requins tronçonneuses, des créatures maléfiques et affamées, surpuissantes, inarrêtables et terriblement dangereuses pour tout petit poisson un peu trop imprudent qui errerait dans le noir.

Personne n'avait vraiment envie de se faire découper en petits morceaux ou dévorés vivants par leurs trop nombreuses rangées de dents.

Les seuls qui n'avaient pas compris le message étaient les humains. Trois d'entre eux exploraient encore le récif au-dessus d'eux, ne prenant pas garde à la montée de la lune. Qui faisait de la plongée au beau milieu de la nuit pour commencer ? S'il y avait bien un milieu inhospitalier pour toutes les espèces de la planète, c'était l'océan en plein coeur de l'obscurité.

Pourtant, ces idiots continuaient de tourner en rond, de tapoter les fesses des pauvres cardeaux déjà enfouis sous le sable ou encore de mettre les doigts dans les venimeuses anémones, quand bien même elles leur brûlèrent les extrémités.

Quand la lune fut haute dans le ciel, de grand grognements caverneux retentirent partout dans le récif. Effrayés, les poissons se retranchèrent un peu plus loin dans leurs cachettes, dans l'espoir de passer la nuit sans se faire dévorer tout crû.

La première ombre passa au-dessus des coraux, gigantesque. D'ordinaire de taille peu impressionnante, les requins-scies doublaient de volume les soirs de pleine nuit. Leur long museau ciselé s'agitait maintenant frénétiquement dans un bruissement mécanique étrange. Leurs ailerons, désormais aussi dur que du métal, pouvaient trancher n'importe quoi.

Quelques braves poissons tentèrent bien d'alerter les humains, mais ils se contentèrent de jouer avec eux, visiblement amusés de les voir tourner frénétiquement autour d'eux. Et ils se disaient les créatures les plus intelligentes de la planète ! Ils n'avaient pas dû rencontrer beaucoup de prédateurs dans leur vie ceux-là...

Le requin-tronçonneuse ne tarda pas à les repérer. Alors que les humains le pointaient du doigt, fascinés par sa présence, ils ne se méfièrent pas assez. À une vitesse incroyable, le requin se projeta à travers les eaux, toutes dents sorties. Sa mâchoire de fer agrippa le premier à la jambe et lui arracha d'un grand mouvement de tête.

L'eau se teinta d'un rouge sombre alors que les autres humains prenaient enfin conscience du danger.

Trop tard.

Deux autres requins surgirent des ténèbres et les attaquèrent avant leur remontée à la surface. Le reste de la troupe ne tarda pas à les rejoindre, dans un ballet macabre de chaire déchiquetée et de coups de dents. Quelques rares morceaux tombèrent dans les bas fonds, rapidement avalés par les carnassiers qui attendaient cette opportunité depuis des heures.

En quelques minutes, les trois humains disparurent de la surface, sans aucune trace. Personne ne retrouverait les corps. Personne ne le faisait jamais.

Espèce dominante ou non, personne ne faisait le poids face à l'appel de la tronçonneuse. 

Faucheuse en grève | Writober 2024Où les histoires vivent. Découvrez maintenant