Jour 3 - Poupées ensorcelées

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Le fil de soie passe et repasse, scellant la bouche de la poupée. L'homme regarde l'aiguille s'emballer, forcer son chemin sous la peau délicate et ressortir un peu plus loin dans une perle de sang.

La poupée s'agite. Un cri silencieux, désespéré, tente de s'échapper de ses lèvres. Une rebelle, celle-ci. Elle a refusé de s'endormir, malgré les nombreux sédatifs. Malgré l'acide texture qui a rongé sa peau, pour la remplacer de bois lisse.

Oh, elle finira par abandonner. Elles finissent toutes par abandonner.

Le fil ressort une dernière fois. D'un coup de ciseaux, il scelle sa destinée. Elle est parfaite, prête à jouer dans son nouveau spectacle.

Le Marionettiste la laisse reposer et débarrasse son atelier pour lui faire un peu de place. Ici, il dépose les yeux dans le bocal, avec les autres. Là, il jette les organes encore humides dans le compost. L'humidité, ça ronge le bois. Il n'en veut pas. Il s'est simplement assuré de laisser un trou dans la structure pour le coeur. Le clou du spectacle dira-t-il. Ce qui rend la marionnette vivante.

En sifflotant, il pousse les autres poupées sur la rampe. Il grogne, insatisfait. Il commence à manquer de place. Il attrape le petit Nicolas et sa vilaine balafre. Imparfait. Sale. D'un geste vif, il le jette dans le compost.

Doucement, il soulève la croix de bois de la petite Marlène... Marilyne ? Il ne sait plus. Ça n'a plus vraiment d'importance de toute manière. La poupée se relève, désarticulée. Parfaitement équilibrée. Sans les os, elle est beaucoup plus légère. Il la fait danser autour de la pièce, fasciné par son petit coeur qui s'agite, qui s'agite, pompant avec désespoir ce qui lui reste d'humain.

Il sourit, et l'accroche avec les autres. Il lui caresse la joue, ramassant au passage la larme qui coule le long de son visage.

« Tout va bien se passer, tu vas te faire des amis. Oh ? Tu ne veux pas des amis ? Tu veux un ami. Je comprends. Je comprends ! »

Le Marionettiste ouvre la porte de sa caravane. Elle mène directement sur l'entrée de l'école. Assis sur les marches, un jeune garçon blanc semble attendre ses parents. L'homme sourit, et s'approche à pas feutré.

« Tu aimes les marionnettes ? Je peux te montrer mon atelier pendant que l'on attend tes parents. »

L'enfant hésite, le regard brûlant de curiosité. Mais c'est juste en face de la rue ! Il verra quand ses parents reviendront. Et puis, il a assisté au spectacle de l'école il y a deux jours. Il sait que l'homme ne lui fera pas de mal. Alors il prend sa main et traverse la rue.

La porte se ferme sur l'homme, souriant, et le petit garçon, trop naïf.

Un cri, bref. Le sang qui coule sous la porte.

Puis une chanson.

« Ainsi font, font, font, les petites marionettes... Ainsi font, font, font... Trois petits tours et puis s'en vont... »

Faucheuse en grève | Writober 2024Où les histoires vivent. Découvrez maintenant