Faucheuse en grève | Writober 2024

Jour 18 - L'enfant du Comte Dracula

— Et c'est grave, docteur ?

— Monsieur Dracula, ça fait combien de temps qu'on se connaît maintenant ? Deux cents, trois cents ans ? Est-ce que je vous ai déjà menti ?

— Non, mais vous devez comprendre, en huit cents ans d'existence, c'est la première fois que ça arrive !

Le Comte Dracula faisait les cents pas dans le cabinet du Docteur Crocodile, son médecin de famille depuis plusieurs générations maintenant. Dracula en avait vu des belles et des pas mûres en six cents ans d'existence, et en particulier avec ses multiples enfants, qui lui en avaient fait voir de toutes les couleurs, à tel point qu'il en avait perdu sa jeunesse éternelle.

Mais le petit dernier de la fratrie, Albert Julius Robertus Alpha Fredéric Balthazar George Dracula l'inquiétait de plus en plus. Alors que tous ses frères et soeurs avaient embrassé le régime du sang et de la nourriture humaine, son fils avait déclaré du jour au lendemain vouloir devenir végétarien. Ah ça, pour sûr, un vampire qui ne buvait pas de sang, c'était bien une première !

Mais voilà, Albert Julius Robertus Alpha Fredéric Balthazar George Dracula avait commençé à corrompre les autres, et en particulier sa soeur, Henrietta Tara Véronique Madeleine Dracula ! Depuis la lubie étrange de son cadet, voilà qu'elle refusait elle-aussi de boire du sang, parce que « Mais Pa, c'est so XVIIIe siècle ! ». Qu'est-ce que c'était que cette génération ? Ici on buvait du sang de parents à enfants depuis dix générations et il était inconcevable qu'un caprice vienne mettre sa parfaite lignée en danger !

Alors pour sauver sa famille, il avait enfermé Albert Julius Robertus Alpha Fredéric Balthazar George Dracula et Henrietta Tara Véronique Madeleine Dracula dans le caveau familial, en espérant que quelques jours sans manger leur remettrait les esprits en place. Malheureusement, ils avaient trouvé un moyen de contacter un service pour humain, l'aide social à l'enfance ou quelque chose de ce genre, et maintenant on l'accusait, lui, le Comte Dracula, de maltraitance infantile, et même de prison s'il continuait à abuser de ses enfants de la sorte.

Pour qui se prenaient ces primates ? Ils croyaient pouvoir dicter leur loi au grand Comte Vladimir Dracula sans répercussions ? Alors il avait envoyé ses aînés s'occuper de leur cas. Malheureusement, ils ne furent pas autorisés à entrer dans le bâtiment. Comme s'ils savaient pour cette règle idiote créé par son arrière grand-père. De rage, le Comte Dracula en avait égorgé deux dans un buisson.

Par désespoir, il avait fini par se tourner par le Docteur Crocodile, dans l'espoir de trouver un remède miraculeux au véganisme d'Albert Julius Robertus Alpha Fredéric Balthazar George Dracula et de Henrietta Tara Véronique Madeleine Dracula. Il lui avait simplement donné une grande tape dans le dos en lui disant que les adolescents contemporains étaient tous comme ça et qu'il allait devoir s'y faire.

— C'est une phase, mon vieux. Ils grandiront et s'assagiront comme les autres à un moment ou un autre.

— Mais s'ils ne le font pas ? S'ils se mettent soudainement à forcer les autres à manger des carottes ?

— Rassurez-vous, les carottes ne sont pas nocives pour les vampires. Elles vous donneront même un teint de bébé. Et vu votre tronche, sans mentir, ça vous ferait pas de mal. Depuis que vous avez perdu la jeunesse éternelle, votre corps qui se décompose là... Ça pue quand même pas mal. Vous vous lavez toujours ?

— Comment osez-vous ? Vous savez très bien que ce n'est pas de ma faute ! Ce sont les enfants, ils me rendent malade. Malade !

Dracula dut rentrer chez lui, dépité, et avec un sachet de carottes. Il n'arrivait pas à croire qu'il allait devoir se métamorphoser en lapin pour retrouver sa vigueur d'enfant.

Pourvu que la crise d'Albert Julius Robertus Alpha Fredéric Balthazar George Dracula se termine vite...