Rêve étrange

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Malgré l'évidence de l'attraction qui le liait à Eleanor, Raiatea faisait preuve d'un respect admirable. Dans chaque regard qu'il lui lançait, il y avait une douceur presque désarmante. Ses gestes, toujours mesurés, ne franchissaient jamais les limites de la bienséance. Si sa présence pouvait parfois troubler Eleanor, il veillait à ce qu'elle se sente toujours en sécurité.

Après la cérémonie en l'honneur des étoiles, le village tout entier partagea un dîner sous un ciel constellé. Des rires éclataient ici et là, des chants et des récits s'élevaient dans l'air. Eleanor, bien que captivée par l'ambiance, se surprenait à chercher Raiatea des yeux, chaque fois qu'il s'éloignait.

Lorsqu'il revenait vers elle pour lui expliquer les histoires derrière les chants ou pour lui proposer un fruit tropical, il était comme un ancrage dans ce monde nouveau.

« Tu sembles connaître tout le monde ici, et tout ce qu'il y a à savoir. »

« C'est ma place, Eleanor. C'est mon rôle de connaître et de transmettre. Un jour, ce sera aussi ma responsabilité. »

Comme chaque soir, une fois les festivités terminées, Raiatea raccompagna Eleanor jusqu'à la petite case qu'elle occupait. Le chemin était éclairé par la lumière douce de la lune, et le bruit des vagues semblait apaiser l'atmosphère.

Il marchait à ses côtés, silencieux mais attentif. Il ajusta une branche tombée sur le chemin pour qu'elle puisse passer sans encombre, et ralentit son pas lorsqu'il sentit qu'elle semblait fatiguée.

Arrivés devant la case, il s'arrêta et lui adressa un sourire qui semblait envelopper Eleanor d'une chaleur indescriptible.

« Bonne nuit, Eleanor. Que les étoiles veillent sur tes rêves. »

Avant qu'elle ne puisse répondre, il ajouta une phrase dans sa langue natale, une phrase qu'elle ne comprit pas mais qui résonna profondément en elle.

« E manu rere tei to'au tino, tei to'au varua. »
(Littéralement : « Un oiseau en vol est dans mon corps, dans mon esprit. »)

Eleanor le regarda, confuse mais étrangement émue. Elle ne comprenait pas les mots, mais quelque chose dans leur tonalité et dans l'intensité de son regard semblaient toucher son âme.

« Que veux-tu dire ? »

Mais Raiatea, un sourire énigmatique aux lèvres, lui fit un léger signe de tête et tourna les talons pour s'éloigner.

Cette nuit-là, Eleanor s'endormit tard. Les images de la journée – les étoiles, les chants, le sourire de Raiatea – tournaient en boucle dans son esprit. Lorsqu'elle ferma enfin les yeux, le sommeil l'emporta dans un rêve étrange et puissant.

Elle se voyait sur une île similaire à celle où elle se trouvait, mais quelque chose était différent. L'atmosphère était plus ancienne, comme si elle se trouvait dans un autre temps. Elle portait une robe simple, faite de fibres naturelles, et se tenait face à un homme qui ressemblait à Raiatea.

Il était habillé comme un chef de guerre, avec des tatouages plus nombreux et plus marqués que ceux qu'elle lui connaissait. Son regard était aussi intense, mais empreint d'une familiarité troublante.

« Aita te tahi fenua, na'a tatou. »
(Littéralement : « Il n'y a pas d'autre terre que la nôtre. »)

Elle ne comprenait pas ses mots, mais sa voix résonnait profondément en elle, comme si elle avait déjà entendu ces phrases dans une vie qu'elle avait oubliée.

Le rêve était flou, mais chargé d'émotions. Une scène où leurs mains se touchaient brièvement lui donna une sensation de chaleur et de complétude. Mais avant qu'elle ne puisse saisir ce qui se passait, tout disparut, comme emporté par une vague.

Eleanor se réveilla en sursaut, le cœur battant à tout rompre. La case était plongée dans l'obscurité, mais elle sentait encore l'écho de ce rêve. Elle se leva, marcha jusqu'à l'ouverture de la case et regarda les étoiles.

Son esprit était confus. Pourquoi ce rêve lui semblait-il si réel ? Pourquoi Raiatea occupait-il une telle place dans ses pensées, comme s'il avait toujours été là, bien avant qu'elle ne le rencontre ?

Elle murmura, presque inconsciemment

« Qui es-tu vraiment, Raiatea ? Et pourquoi ai-je l'impression de te connaître depuis toujours ? »

Le vent nocturne caressa son visage, et un frisson parcourut son corps. Eleanor sentit que ce qu'elle vivait dépassait de loin ce qu'elle était venue chercher en Polynésie. Elle se recoucha, mais cette fois, le sommeil refusa de venir. Une certitude grandissait en elle : son lien avec Raiatea était plus profond qu'elle ne pouvait l'expliquer.

Cette nuit-là, le sommeil de Raiatea fut perturbé par un rêve si vivace qu'il semblait réel. Dans son rêve, il se tenait sur une plage baignée par la lumière argentée des étoiles. Le vent soufflait doucement, et les vagues murmuraient une mélodie familière.

Il n'était pas seul. Une femme se tenait à ses côtés, ses cheveux ondulant sous la brise, et ses yeux reflétaient une tendresse infinie. Elle ressemblait à Eleanor, mais ce n'était pas seulement son apparence qui le troublait. C'était l'intensité du lien qu'il ressentait.

Ils ne se parlaient pas, mais leurs regards suffisaient. Il la connaissait. Pas comme une étrangère qu'il avait rencontrée il y a quelques jours, mais comme une âme qu'il avait aimée depuis toujours. Sa main effleura la sienne, et ce simple contact déclencha une vague d'émotions – amour, nostalgie, douleur.

« Te mau mata'i o teie fenua, e mau tamau ia tatou. »
(Littéralement : « Les vents de cette terre nous unissent pour toujours. »)

La femme – Eleanor ? – répondit par un sourire triste mais rempli de promesses, avant de disparaître, comme emportée par le souffle du vent. Raiatea tenta de la retenir, mais sa main passa au travers comme si elle n'était qu'un souvenir.

Le réveil et le doute

Raiatea se réveilla brusquement, son souffle court, son cœur battant à tout rompre. Il resta un instant allongé, fixant le plafond, les images du rêve encore vives dans son esprit. Chaque détail – la plage, les étoiles, la femme – semblait plus vrai que la réalité.

Se levant, il alla s'asseoir près de la fenêtre ouverte de sa case. Le ciel nocturne était encore clair, les étoiles brillantes. Leur lumière semblait lui parler, comme un écho de son rêve.

Il passa une main sur son visage, troublé. Dans sa culture, il avait grandi avec la croyance que les âmes pouvaient voyager à travers les vies, se retrouver encore et encore. Les anciens racontaient des histoires d'amants qui, liés par le destin, se cherchaient dans chaque existence.

Mais ce qu'il ressentait pour Eleanor dépassait tout ce qu'il avait entendu. Ce lien était profond, presque douloureux. Il ne s'agissait pas seulement d'attraction ou de curiosité, mais d'une certitude inexplicable qu'elle n'était pas une inconnue pour lui.

« Qui es-tu, vraiment, Eleanor ? Pourquoi ton âme semble-t-elle déjà connaître la mienne ? »

Il posa son regard sur l'horizon sombre. Une idée lui vint alors, claire et insistante : il devait consulter la chaman du village, celle qui pouvait lire les âmes et interpréter les rêves.

Raiatea savait qu'il ne pouvait pas ignorer ce rêve, ni ce qu'il ressentait. C'était comme si les dieux eux-mêmes lui avaient envoyé un message, un rappel d'un passé oublié.

Il resta assis près de la fenêtre pendant de longues minutes, écoutant le murmure des vagues, avant de prendre sa décision. Dès l'aube, il irait voir Moana. Il devait savoir si Eleanor était vraiment celle qu'il croyait

Alors qu'il se levait pour retourner se coucher, une étoile filante traversa le ciel. Il la regarda avec un mélange d'émerveillement et de conviction.

Dans son cœur, il sentit une certitude grandir : ce n'était pas une coïncidence que leurs chemins se soient croisés. Les dieux, les étoiles, et peut-être même leurs propres âmes, avaient guidé leurs pas.

Raiatea murmura une dernière prière avant de fermer les yeux :

« E tae te mahana e ite au, o tei hea te tumu o te here o teie oraraa. »
(Littéralement : « Un jour, je saurai pourquoi cet amour existe dans cette vie. »)

Avec cette pensée, il s'endormit à nouveau, l'esprit tourné vers les révélations à venir.

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