L'autre femme

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Eleanor quitta la hutte de Yamoa, le cœur léger et un sourire radieux illuminant son visage. Pour la première fois depuis des jours, elle ressentait une paix intérieure. Les paroles de la chamane résonnaient encore dans son esprit : les dieux attendaient simplement le bon moment pour bénir leur union et tester leur foi.

Elle se hâta vers sa case, impatiente de partager cette bonne nouvelle avec Raiatea, certaine que cela chasserait ses doutes et les rapprocherait davantage.

En entrant, elle trouva Raiatea assis, le visage grave. Son aura imposante, celle du Te Arii Tumu, emplissait la pièce. Eleanor, trop euphorique pour remarquer son expression, se précipita vers lui, ses paroles jaillissant comme une cascade :

"Raiatea ! J'ai vu Yamoa ! Les esprits ont parlé ! Ils disent que je ne suis pas stérile, que notre union est bénie et que les dieux nous mettront à l'épreuve avant de nous offrir leur cadeau. Nous devons seulement attendre, avoir foi..."

Mais Raiatea leva une main ferme, interrompant son flot de paroles. Le regard qu'il posa sur elle était empreint de détermination, mais aussi de fatigue. Eleanor s'arrêta, décontenancée.

"Eleanor, écoute-moi. J'ai pris une décision. Après avoir longuement réfléchi et sous la pression des conseillers, j'ai accepté leur proposition. J'ai décidé de prendre Naria comme concubine."

Eleanor cligna des yeux, incrédule. Elle ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortit. Raiatea continua, sa voix posée mais implacable

"Les anciens pensent que c'est nécessaire pour assurer l'avenir du trône. En tant que Vahine Arii, tu as un rôle à jouer. Ce soir, lors d'une petite cérémonie, tu devras bénir le ventre qui portera l'héritier."

Eleanor sentit le sol se dérober sous elle. Son esprit refusa d'accepter ce qu'elle venait d'entendre. Raiatea, son Raiatea, l'homme qui lui avait promis un amour éternel, avait choisi de prendre une autre femme, même sous le titre de concubine. Elle sentit une douleur sourde s'installer dans sa poitrine, comme si son cœur se brisait en mille morceaux.

Elle murmura, presque inaudible
"Tu... tu veux que je bénisse cette union ? Que je... Que je donne ma bénédiction à une femme qui prendra ma place ?"

"Tu ne perdras jamais ta place, Eleanor. "
répondit Raiatea avec douceur, bien que son ton restât ferme.

"Tu es ma femme, ma Vahine Arii, celle qui partage mon âme. Mais cela... c'est une nécessité pour le peuple. Ce n'est pas un choix de cœur, mais de devoir."

Elle baissa les yeux, serrant ses mains tremblantes pour contenir ses émotions. Elle savait qu'il était maintenant Te Arii Tumu, le Chef Fondamental, et qu'elle lui devait respect et obéissance. Ce n'était plus le jeune homme insouciant qu'elle avait connu. Il portait désormais le poids du peuple, et elle comprenait, mais cela ne rendait pas la situation moins douloureuse.

Elle releva les yeux, son regard brillant de larmes qu'elle retenait avec difficulté, et acquiesça doucement.
"Je comprends... Te Arii Tumu."

Sans attendre sa réponse, elle sortit de la case, le cœur lourd et les larmes coulant silencieusement sur ses joues. Les murmures du village lui parurent soudain plus pesants, et chaque regard qu'elle croisait semblait lui rappeler sa prétendue stérilité.

Elle marcha jusqu'au lac, un endroit qui avait toujours été pour elle un refuge. Là, à genoux sur le rivage, elle laissa enfin libre cours à ses pleurs. Les étoiles semblaient briller plus intensément dans le ciel, comme si elles l'observaient.

Eleanor joignit ses mains tremblantes et murmura une prière

"Ô dieux, si vous m'entendez, donnez-moi la force d'affronter cette épreuve. Montrez-moi que notre amour mérite votre bénédiction. Je ne veux pas perdre ce lien sacré avec lui... pas comme ça."

Elle resta là, immobile, priant et pleurant sous le regard indifférent de la lune, alors que le village s'activait pour préparer la cérémonie à venir.

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