Aux premières lueurs de l'aube, Eleanor s'éveilla avec un poids immense sur la poitrine. Raiatea avait quitté leur maison tôt pour retrouver ses conseillers, et elle restait seule avec ses pensées tourmentées. Pourtant, elle savait qu'en tant que Vahine Arii , elle avait des responsabilités à honorer. Enfilant un paréo orné des motifs traditionnels de son rang, elle quitta leur demeure pour rejoindre les femmes du village.Eleanor avait pris à cœur son rôle depuis son arrivée sur l'île. Pendant deux ans, elle s'était efforcée de respecter les coutumes, d'apprendre la langue et de tisser des liens avec les habitants.
Aujourd'hui, cependant, les sourires chaleureux semblaient absents. Alors qu'elle avançait dans les jardins où les femmes préparaient des offrandes pour les dieux, des murmures s'élevèrent sur son passage.
"Regarde-la,"
souffla une femme d'un ton acide, à peine assez bas pour que cela échappe à Eleanor."Elle se croit l'une des nôtres, mais elle ne pourra jamais donner d'héritier à notre Te Arii Tumu."
"Les dieux l'ont maudite,"
ajouta une autre, un sourire en coin. "Il aurait dû épouser une vraie maori."Eleanor sentit les regards perçants se poser sur elle, des éclats de mépris brillant dans les yeux de certaines. Ces femmes qui l'avaient autrefois accueillie semblaient désormais prêtes à lui tourner le dos. Une boule se forma dans sa gorge, mais elle se força à garder la tête haute. Elle se réfugia dans son rôle, donnant des instructions sur la disposition des fleurs et participant à la préparation des repas, mais son cœur se serrait davantage à chaque pas.
Elle avait pensé qu'elle avait trouvé sa place ici. Elle avait cru s'être intégrée, mais elle réalisait maintenant que cette acceptation n'avait été qu'une façade. Elle n'était plus l'étrangère admirée et exotique, mais celle qui avait "volé" la place d'une femme maori dans la chefferie, une étrangère incapable d'offrir à son peuple ce qu'il attendait.
À la fin de la journée, n'en pouvant plus de garder sa douleur pour elle-même, Eleanor se rendit chez Yamoa, la chamane du village.
Yamoa, bien que jeune, avait acquis un grand respect parmi les siens pour sa sagesse et sa connexion avec les esprits. Mais pour Eleanor, elle était surtout une amie, l'une des rares en qui elle avait confiance.Quand Eleanor arriva à la hutte de Yamoa, la jeune femme l'accueillit avec un sourire chaleureux. "Entre, vahine arii," dit-elle doucement.
"Ton cœur est lourd aujourd'hui. Que puis-je faire pour toi ?"
Eleanor s'assit sur les nattes tressées et baissa la tête.
"Je ne sais pas par où commencer, Yamoa. Les anciens disent que je suis stérile, que les dieux me punissent pour avoir épousé Raiatea. "
Elle marqua une pause pour essuyer une larme furieusement
"Et maintenant, les femmes... elles me méprisent. Je pensais que j'avais trouvé ma place ici, mais je vois que ce n'était qu'un mensonge."
Yamoa s'assit face à elle et prit ses mains dans les siennes.
"Les mots des anciens et des gens du village sont lourds, mais ils ne sont pas toujours la vérité. Les dieux parlent à travers les esprits, pas à travers la peur ou le jugement des hommes. Si tu le souhaites, je peux consulter les esprits pour apaiser tes doutes."
Eleanor hocha la tête, des larmes coulant silencieusement sur ses joues.
"Je dois savoir, Yamoa. Est-ce vrai ? Est-ce que je suis stérile ? Est-ce que les dieux ne veulent pas de moi ici ?"
Yamoa se leva et alluma des bâtons d'encens, les plaçant autour d'un autel orné de symboles anciens. Elle entonna des chants en langue maori, invoquant les esprits. Eleanor observa, le cœur battant, tandis que la chamane tombait dans une transe profonde.
Après un long moment de silence, Yamoa ouvrit les yeux et sourit.
"Les esprits ont parlé, Eleanor. Ils m'ont dit que tu n'es pas stérile. Les dieux n'ont pas condamné ton union avec Raiatea. Au contraire, ils l'ont bénie. Mais ils vous éprouvent, comme ils l'ont fait dans toutes vos vies passées."
"Chaque fois que vos âmes se retrouvent, les dieux vous placent devant des épreuves pour tester votre amour et votre foi. Ils veulent savoir si vous êtes capables de surmonter ces obstacles. Patience, Eleanor. Le bon moment viendra."
Les mots de Yamoa réchauffèrent le cœur d'Eleanor, dissipant une partie de son mal-être. Elle serra les mains de son amie.
"Merci, Yamoa. Tes paroles me redonnent espoir."
Pendant ce temps, Raiatea, toujours hanté par les paroles des anciens, prit une décision qu'il croyait être un compromis. Alors qu'il se tenait devant ses conseillers, il déclara
"Je ne prendrai pas une deuxième épouse. Eleanor est ma femme, et je ne manquerai pas de respect à notre union."
Voyant que l'un des anciens était sur le point de répliquer il ajouta d'un ton calme
"Mais si cela peut apaiser vos inquiétudes et celles du peuple, je consens à prendre une concubine. Ce sera son rôle de porter un enfant pour notre famille, rien de plus."
Un murmure d'approbation parcourut l'assemblée. Matui, le plus âgé des conseillers et père de Naria, se leva aussitôt.
" Te Arii Tumu, si je puis me permettre, ma fille Naria est toute désignée pour ce rôle. Elle était destinée à être votre femme avant l'arrivée d'Eleanor. Elle est encore vierge, bénie par les dieux, et sa fertilité ne fait aucun doute. Avec elle, tu auras un héritier."
Raiatea acquiesça distraitement. Tout cela ne l'intéressait pas. Son esprit était ailleurs, auprès d'Eleanor, auprès de leur rêve commun d'une famille. Mais il savait qu'il devait céder, au moins en partie, pour préserver la paix et son autorité.
"Faites ce que vous jugez nécessaire," répondit-il d'un ton las, avant de quitter l'assemblée.
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Lien Éternel
Historical Fiction"Lien Éternel " raconte l'histoire d'Eleanor, une jeune exploratrice qui débarque en Polynésie avec son équipe pour étudier la culture locale et découvrir les secrets cachés de l'île. Lors de son séjour, elle rencontre Raiatea, le fils du chef du vi...