Tourments

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Sous la lumière pâle de la lune, Raiatea se tenait au bord du lac sacré, les pieds immergés dans l'eau fraîche. Chaque vaguelette qui léchait ses chevilles semblait effacer un peu de la tension qui oppressait sa poitrine. Il plongea ses mains dans l'eau et se rinça lentement le visage, comme s'il espérait purifier non seulement son corps, mais aussi son esprit. Le parfum de Naria, bien que léger, semblait imprégner sa peau, et il le percevait comme une marque de trahison envers Eleanor.

"A'ua'e," murmura-t-il, les yeux fermés, s'adressant aux esprits de ses ancêtres. "Montrez-moi la voie. Je suis partagé entre mes responsabilités et mon cœur. Donnez-moi la force de supporter cette douleur, pour le bien de mon peuple, mais aussi pour le respect de mon union avec Eleanor."

Le vent souffla légèrement, faisant bruisser les feuilles des arbres environnants, et Raiatea y vit un signe. Il s'immergea jusqu'aux épaules dans l'eau glacée, offrant ses prières dans un silence solennel. Une fois sa purification terminée, il retourna à la chefferie, refusant de rejoindre Eleanor. Il ne pouvait pas se coucher à ses côtés cette nuit-là, portant encore le poids de ses actes.

Le lendemain matin

Les premiers rayons du soleil éclairaient la chefferie lorsqu'une servante entra pour préparer la pièce. Elle s'arrêta net en trouvant Raiatea assis, le regard fixé sur un point invisible. Pensant qu'il s'était réveillé plus tôt pour ses devoirs, elle s'inclina respectueusement avant de quitter les lieux. Peu après, les conseillers arrivèrent, des sourires satisfaits sur leurs visages.

"Te Arii Tumu, tu sembles en pleine forme ce matin. Nous espérons que la nuit avec Naria a été fructueuse," lança l'un d'eux en ricanant.

Un autre ajouta, en riant
"Tu sais, le dieu de la virilité est plus généreux le matin. Peut-être devrais-tu rendre visite à ta concubine avant que la journée ne commence."

Ils éclatèrent tous de rire, mais Raiatea resta silencieux, le regard distant. Chaque mot qu'ils prononçaient lui donnait envie de s'éloigner davantage de ce rôle imposé.

Dans sa hutte, Naria s'habillait soigneusement. Elle portait une robe ornée de motifs traditionnels et se para d'un collier en nacre que son père lui avait offert. Son but était clair : elle voulait être vue et reconnue comme une figure d'importance dans le village, presque comme une deuxième Vahine Arii. Escortée par quelques villageois, elle commença son tour, souriant aux habitants, se présentant avec un air faussement humble.

Mais lorsqu'Eleanor la vit, une vague de colère glaciale monta en elle. Naria avançait avec une assurance qu'elle n'aurait jamais dû avoir, et Eleanor savait qu'elle devait agir. La véritable Vahine Arii s'interposa, se plaçant face à Naria avec une posture qui respirait l'autorité.

"Naria," commença-t-elle d'une voix douce mais tranchante,
"Je vois que tu te plais à jouer un rôle qui n'est pas le tien. Mais rappelle-toi : tu n'es pas la Vahine Arii. Tu es ici pour une seule raison, et ce n'est certainement pas pour te pavaner."

Naria, piquée au vif, tenta de garder son calme mais ne put résister à l'envie de répondre.

"Avec tout le respect que je vous dois, Vahine Arii, peut-être que vous devriez demander à Te Arii Tumu pourquoi il m'a choisie. Il était... passionné cette nuit. Pas vraiment le comportement d'un homme contraint, ne pensez-vous pas ?"

Ses mots, prononcés avec un mélange de défi et de provocation, firent l'effet d'un coup de poignard à Eleanor. La colère brilla dans les yeux de cette dernière, mais elle se força à garder son calme.

"Profite de ta petite victoire, Naria. Te Arii Tumu a fait ce qu'il devait faire pour assurer sa lignée, pas pour toi. Tu n'es qu'un moyen, rien de plus."

Elle tourna les talons, la tête haute, laissant Naria derrière elle. Mais dans son cœur, Eleanor sentait une fissure grandir. Raiatea avait choisi, et même si elle comprenait les raisons derrière son geste, la douleur d'être trahie ne pouvait être ignorée.

Les journées s'étiraient lentement, et à chaque nuit qui passait, le cœur d'Eleanor se brisait un peu plus. Elle avait été fidèle aux prédictions des dieux, croyant fermement que la patience serait récompensée, mais les jours se transformaient en mois, et chaque nuit Raiatea s'éloignait d'elle. Il avait cessé de lui adresser les doux regards qui avaient autrefois été la marque de leur complicité. Leur union, autrefois empreinte de tendresse et de promesses, s'était transformée en une sorte de formalité froide et distante.

Eleanor continuait à faire ses prières visitant les temples et se rendant au lac pour se purifier,  mais à chaque étape, elle ressentait plus intensément la séparation qui s'était imposée entre elle et Raiatea. Son âme souffrait de l'absence de contact, d'une intimité qui lui semblait désormais inaccessibile. Elle se demandait comment elle arriverait a tomber enceinte si Raiatea ne la touchait même plus. Ses prières, pourtant sincères, semblaient n'avoir aucun écho.

Pendant ce temps, Raiatea passait de plus en plus de nuits avec Naria.

Au fil des semaines, il s'habituait à sa présence , à sa chaleur et quelque chose de bien plus troublant que la simple nécessité qu'elle représentait s'insinuait dans ses pensées. L'attirance physique devenait évidente, et même si cela lui pesait de plus en plus, il ne pouvait nier qu'il trouvait du plaisir dans les bras de la jeune femme. La simple pensée de Naria, de ses gestes délicats et de son corps offert à lui, servait à l'exciter meme après les longues journées de travail.

Les rires de Naria résonnaient dans le village à chaque fois qu'Eleanor passait, et chaque geste, chaque regard que la jeune femme lui adressait semblait être un rappel brutal de ce qu'elle avait perdu. Et Raiatea, plongé dans un tourbillon de doutes et de responsabilités, s'éloignait davantage d'Eleanor. Il savait que les attentes du peuple étaient fortes, et l'idée d'un héritier ne cessait de hanter ses pensées. Il ne pouvait ignorer la pression qui pesait sur ses épaules, mais ce qu'il ignorait encore plus, c'était l'ampleur de la souffrance qu'il infligeait à celle qu'il aimait.

Eleanor était seule.
Elle errait dans la chefferie, se sentant étrangère parmi les autres femmes. Elle avait toujours cru que son amour avec Raiatea serait une force assez grande pour surmonter tout obstacle, mais maintenant, elle se sentait invisible. Les rires des villageois, les regards moqueurs de Naria, tout cela venait briser peu à peu l'image qu'elle s'était construite. Elle avait sacrifié une part d'elle-même pour intégrer ce monde, mais elle réalisait que, malgré tous ses efforts, son statut de "Vahine Arii" n'était qu'un masque fragile, un rôle qui ne la rendait pas invincible.

Elle essaya de se rappeler les moments passés avec Raiatea, les promesses qu'ils s'étaient faites dans l'intimité de la nuit. Mais désormais, tout semblait lointain, presque irréel. Quand elle croisait Naria, cette dernière, souvent entourée de femmes admiratives, posait sa main sur son ventre en un geste presque provocateur, comme si elle se savait déjà l'élue. Cela déchirait Eleanor. Elle sentait que sa place dans la vie de Raiatea se réduisait chaque jour un peu plus. C'était comme si, au fond, elle n'était plus que l'ombre d'elle-même.

Un soir, après une longue journée...
Eleanor se rendit une fois de plus au lac, cherchant un peu de réconfort dans la solitude de l'eau. Elle s'assit au bord, les pieds plongés dans l'eau, son regard perdu dans l'horizon. Elle priait encore, mais cette fois, ce n'était pas pour demander un enfant. C'était pour comprendre, pour accepter ce qui était en train de se passer.

La douleur dans son cœur était plus forte que jamais. Elle n'avait pas voulu que tout se passe ainsi. Mais les dieux semblaient l'avoir abandonnée, et même son mari, celui qu'elle aimait profondément, s'éloignait d'elle, happé par les exigences de son peuple.

Le lendemain, Eleanor après sa prière matinale au temple , croisa de nouveau Naria qui sortait de chez le médecin traditionnel.

Et cette fois, Naria, d'un sourire arrogant, toucha son ventre en la fixant droit dans les yeux. "Je porte ce que tu ne pourras jamais avoir," lança-t-elle, sa voix pleine de défi.

Eleanor serra les poings, la rage bouillonnant en elle. Mais elle savait que se laisser emporter serait inutile. Elle se tourna, le cœur lourd, et s'éloigna sans répondre. Ce n'était pas le moment. Elle devait encore trouver sa force, même si chaque jour était plus difficile que le précédent.

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