Le venin de la jalousie

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La case de Naria était plongée dans l'ombre, éclairée uniquement par la lueur tremblotante d'une petite lampe à huile. Assise sur un tapis usé, elle fixait le vide, son esprit envahi par une colère sourde et une douleur qu'elle refusait de montrer. Les murmures des servantes qui passaient près de sa demeure atteignaient parfois ses oreilles, des mots qu'elle aurait préféré ne pas entendre.

« Elle pensait devenir reine, mais regarde-la maintenant. Même Raiatea ne veut plus d'elle. »

« Peut-être que les dieux l'ont maudite. Elle ne mérite pas sa place. »

Ces paroles la poignardaient comme autant de lames. Elle les supportait en silence, mais à l'intérieur, une tempête grondait.

Naria se leva brusquement, ses poings serrés, et lança un pot en terre contre le mur. Le bruit éclatant résonna dans la pièce, mais personne ne vint. Personne ne viendrait.

« J'ai été choisie pour être Vahine Arii, pas pour être traitée comme une paria ! Eleanor m'a tout volé. »

Elle s'effondra sur le sol, le regard fixé sur un ancien talisman suspendu à un coin de la case, symbole de la lignée dont elle faisait partie. Ses souvenirs l'assaillirent : son père, Matui, lui répétant depuis son enfance qu'elle était destinée à devenir une femme puissante. Une déesse parmi les mortelles.

Flashback :
« Naria, tu n'as pas le droit d'échouer. Si tu faiblis, c'est toute notre lignée qui sera méprisée. Tu dois être parfaite. Tu dois être forte. »

Elle avait prié les dieux de tout son cœur pour être à la hauteur, mais ils lui tournaient le dos. Ses entrailles lui semblaient vides, son avenir, réduit en poussière.

Un soir, dans un dernier élan désespéré, elle décida de tenter de regagner le cœur de Raiatea. Elle prépara un repas qu'il aimait autrefois, chaque geste empreint de soin et d'espoir.

Dans la case du chef, elle le trouva seul, son regard perdu dans la contemplation d'un parchemin. Il leva à peine les yeux lorsqu'elle entra.

Naria, d'une voix douce
« Te Arii Tumu, je t'ai apporté ton plat préféré. Peut-être que... nous pourrions dîner ensemble, comme avant ? »

Raiatea releva les yeux. Il resta silencieux un instant, puis hocha lentement la tête, acceptant par politesse.

Ils mangèrent en silence, mais chaque bouchée lui semblait amère. Naria tenta d'alléger l'atmosphère.

« Souviens-toi, autrefois, nous parlions des rêves que nous avions pour cette île. Je voulais être à tes côtés, bâtir quelque chose de grand avec toi... »

Mais Raiatea ne répondit pas. Lorsqu'il posa finalement son bol, il la regarda avec une dureté qui lui fendit le cœur.

« Naria, je ne te dois rien de plus que ce que j'ai déjà donné. Eleanor est ma femme. Ce lien ne peut être remplacé. Ne force pas ce qui n'existe plus. »

Ces mots furent comme un coup de massue. Naria détourna les yeux, mordant ses lèvres pour retenir les larmes.

Quelques jours plus tard, alors qu'elle revenait du marché avec des provisions, elle trouva son père qui l'attendait devant sa case. Son expression était grave, son regard plein de mépris.

« Alors, c'est ainsi que tu me représentes ? Tu te fais humilier par Raiatea devant tout le village, et tu restes là, à ne rien faire ? »

« Cela fait des mois, et toujours aucun héritier. »

Naria sentit ses joues s'enflammer.
« Père, je fais de mon mieux. Les dieux... peut-être qu'ils ne m'ont pas encore bénie... »

Matui claqua la langue, exaspéré.
« Les dieux n'ont rien à voir avec ton échec. Si tu ne peux pas donner d'héritier, à quoi sers-tu ? Si tu ne récupères pas ton statut, tu ne seras plus ma fille. Si tu ne peux même pas enfanter, à quoi sers-tu ? »

Ces mots furent une trahison ultime. Elle sentit son cœur se briser en mille morceaux, mais elle n'en montra rien.

« Je vais arranger cela, père. Je ne vous décevrai pas. »

Poussée par le désespoir, Naria quitta le village une nuit pour rendre visite à une ancienne prêtresse exilée. La femme vivait seule dans une grotte humide, entourée de fumée et de plantes étranges.

« Que cherches-tu ici, fille de Matui ? »

Naria hésita un instant, mais sa haine envers Eleanor l'emporta.
« Je veux une potion. Quelque chose qui brisera une femme sans qu'elle le sache. »

La guérisseuse sourit d'un air sinistre et alla chercher une petite fiole remplie d'un liquide sombre.

« Cela suffira. Une seule goutte dans sa nourriture ou son eau, et son corps se retournera contre elle. Elle ne portera jamais d'enfant. Mais attention... un tel acte attire le regard des dieux. »

Naria tendit un bracelet en os, celui que lui avait offert son père, en paiement.

« Les dieux ne m'ont jamais aidée. Ils ne m'effraient pas. »

De retour dans sa case, Naria observa Eleanor de loin. La femme rayonnait, heureuse aux côtés de Raiatea. Chaque éclat de rire, chaque regard tendre entre eux ravivait sa colère.

Cette nuit-là, seule dans sa case, elle fixa la fiole dans ses mains.

« Elle m'a pris tout ce que je voulais. Maintenant, c'est à mon tour de tout lui prendre. »
Elle sourit dans l'ombre, prête à exécuter son plan.

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