Lien Éternel

La vierge déchue

Dans la hutte ornée de motifs tribaux et d'objets symboliques représentant la fécondité, Naria entra la tête baissée, le souffle court. Les flambeaux fixés aux murs projetaient une lumière vacillante, créant des ombres dansantes qui semblaient observer le moment. Raiatea referma doucement la porte derrière eux, son visage impassible, marqué par les tatouages cérémoniels qui soulignaient sa grandeur et son autorité.

Naria osait à peine le regarder. Depuis leur jeunesse, elle avait toujours admiré Raiatea. Mais l'homme qu'il était devenu, Te Arii Tumu, imposait une aura écrasante, presque divine. Ses tatouages, ses larges épaules, cette posture sûre de lui... Il était plus qu'un simple homme. Il incarnait la force et la puissance, et cela la rendait à la fois fébrile et terriblement intimidée.

Raiatea, quant à lui, sentait le poids de ses responsabilités peser lourdement sur ses épaules. Il n'avait jamais souhaité ce moment. Il n'avait pas voulu en arriver là. Mais le rôle de chef exigeait parfois des sacrifices, et ce soir, il en était un. Ce n'était pas un acte de désir ou d'amour, mais un devoir imposé par la pression des anciens et la survie de sa lignée. Pourtant, il ne pouvait ignorer la beauté de Naria, ni l'éclat dans ses yeux emplis d'espoir.

Il s'assit sur le lit, les jambes légèrement écartées, son regard fixé sur elle. Sans un mot, il défit les pans de son paréo, révélant son torse tatoué, chaque motif racontant une histoire, une responsabilité, un serment. Son regard devint plus insistant, invitant Naria à se dévêtir également.

Naria se mordit la lèvre, hésitante. Elle n'était plus l'enfant insouciante qui jouait autrefois avec lui près des cascades. À cet instant, elle devait se montrer digne de son rôle, devenir la femme qu'il attendait. Elle dénoua lentement sa ceinture de perles, laissant sa robe blanche glisser au sol, révélant son corps délicatement parfumé d'huile de monoï. Elle frissonna, non pas à cause de la fraîcheur de la pièce, mais sous l'intensité du regard de Raiatea.

"Approche"dit-il simplement, sa voix grave résonnant dans la hutte.

Elle obéit, s'agenouillant devant lui, le cœur battant la chamade. Raiatea tendit une main pour effleurer son visage, et bien qu'il essayât de rester distant, il sentit la douceur de sa peau, le parfum de tiaré qui émanait d'elle.

La hutte était imprégnée d'une ambiance à la fois solennelle et intime, éclairée par la lueur tremblotante des flambeaux. Naria, toujours agenouillée près de Raiatea, sentait chaque fibre de son être vibrer sous l'intensité de la situation. L'air semblait chargé, lourd du poids de leur rôle respectif, mais aussi d'une tension qu'elle ne savait qualifier.

Quand Raiatea l'effleura pour la guider vers lui, sa main était chaude, ferme, mais dépourvue de toute douceur. Naria ressentit un frisson, un mélange de nervosité et d'excitation, parcourir sa colonne vertébrale. Sa peau parfumée d'huile de monoï brillait sous la lumière des torches, et elle sentit les battements de son cœur s'accélérer lorsqu'il la regarda. Ses yeux, sombres et insondables, semblaient chercher quelque chose en elle, ou peut-être au-delà d'elle.

Elle inspira profondément, cherchant à calmer les tremblements dans ses mains. Lorsqu'elle se rapprocha encore, elle sentit la chaleur de son corps contre le sien, une sensation à la fois étrangère et envoûtante. Chaque contact était un mélange de douceur et de fermeté, et bien qu'il n'exprimât aucune véritable passion, sa présence imposante la faisait se sentir vulnérable et honorée à la fois.

Lorsque Raiatea la prise, Naria fut submergée par une vague de sensations nouvelles et déroutantes. Sa respiration se fit saccadée alors qu'elle essayait de comprendre ce qu'elle ressentait. Il y avait une pointe de douleur, mais aussi un sentiment d'accomplissement, de connexion physique avec cet homme qu'elle avait toujours admiré. Elle se concentra sur la chaleur de sa peau, sur le poids de ses mains contre ses hanches, sur la tension dans ses muscles qui révélaient à quel point il se maîtrisait, et sur ce sexe divin qui coulissait en elle.

Pour Naria, tout cela était une révélation. Elle avait attendu ce moment, et malgré la réserve de Raiatea, elle se sentait exaltée. Les battements de son cœur semblaient se synchroniser avec les siens, et elle ferma les yeux, s'abandonnant à cette expérience qu'elle imaginait comme un passage sacré, un don des dieux.

Mais alors qu'elle s'ouvrait à lui, espérant une connexion plus profonde, elle sentit une froideur émotionnelle qu'elle ne pouvait ignorer. Raiatea, bien qu'attentif à ses gestes et à ses besoins, restait distant. Pour lui, c'était un devoir, une obligation qu'il devait remplir, rien de plus. Ses mouvements étaient précis, méthodiques, dépourvus de toute spontanéité ou véritable passion. Cela lui laissait un goût amer qu'elle essayait d'ignorer, se raccrochant à l'idée qu'elle faisait ce qu'elle devait pour son peuple et pour lui.

Lorsque tout fut terminé, elle resta allongée, encore tremblante, les yeux fixés sur le plafond de la hutte. Une vague de chaleur l'enveloppa, mais elle se sentit aussi étrangement vide. Elle tourna la tête vers Raiatea, espérant croiser son regard, mais il s'était déjà levé. Ses gestes étaient calmes, presque détachés, alors qu'il nouait son paréo autour de sa taille.

Il posa un instant son regard sur elle, et elle crut y déceler une pointe de regret ou de peine, mais il détourna rapidement les yeux. Lorsqu'il se dirigea vers la porte, elle sentit son cœur se serrer.

"Repose-toi" dit-il simplement avant de disparaître dans la nuit.

Naria resta immobile, les larmes montant à ses yeux. Ce qui aurait dû être le début d'une nouvelle vie à ses côtés venait de s'effondrer en silence. Elle comprenait maintenant que, malgré son rôle, elle ne serait jamais celle qu'il aimait véritablement.

Raiatea, quant à lui, quitta la hutte, le poids de son acte s'ajoutant à celui de sa conscience. Il savait qu'en agissant ainsi, il trahissait non seulement Eleanor, mais également lui-même.