La musique s'envole autour de moi, les guirlandes laissent au-dessus de ma tête une atmosphère chaleureuse, mais je ne peux m'empêcher de me sentir... vide.
Elle n'est plus là.
Je me retourne vers l'endroit où nous avons dansé il y a quelques minutes. Vide. Pas un signe d'elle.
Mon sourire s'efface lentement alors que je scrute la foule. Elle doit être quelque part, elle n'a pas pu se volatiliser ! Peut-être est-elle allée chercher quelque chose à boire ou peut-être ai-je été trop loin... Cette pensée s'immisce en moi comme une lame fine et glaciale. Est-ce que j'ai dit ou fait quelque chose qui l'a mise mal à l'aise ? Je passe une main dans mes cheveux, frustré. Les souvenirs de nos pas sur cette piste, de son sourire, de ses yeux, refusent de me laisser tranquille. Tout semblait si naturel, presque parfait... jusqu'à ce qu'elle disparaisse.
Mes yeux balayent la foule une fois de plus. Je me répète qu'elle n'est pas du genre à partir sans prévenir, pas sans raison. Mais le doute persiste. Est-ce que je l'ai poussée à se refermer ? Est-ce que je l'ai mise mal à l'aise ? J'aurais dû être plus prudent. Peut-être que cette danse était une erreur. Peut-être qu'elle a vu ça comme une intrusion.
Je me remémore sa façon de rire, comme si elle s'autorisait un moment de répit, mais toujours avec cette réserve, cette retenue qui flotte autour d'elle comme une armure invisible. Et si je suis allé trop vite, trop loin, et que je l'ai effrayée ?
Non.
Claire n'est pas fragile. Elle est forte, mais cette force a des limites, et je crains de l'avoir testée ce soir. Mais alors pourquoi est-elle partie si brusquement ? Si elle ne voulait pas de cette danse, elle aurait simplement décliné... Mais qu'est-ce que je sais d'elle, au fond ? Si peu. Tout ce que je connais d'elle, c'est ce qu'elle a bien voulu laisser paraître. Et même ça, je sens que c'est juste la surface. Je serre les poings. Une partie de moi est furieux contre elle. Pourquoi refuse-t-elle de laisser entrer quiconque ? Pourquoi refuse-t-elle de me laisser une chance ? Mais une autre partie... celle qui m'a poussé à la chercher toute la soirée, qui m'a poussé à m'inquiéter... Cette partie comprend. Parce que je connais aussi le poids d'un passé qu'on préfère enterrer.
Un soupir échappe à mes lèvres. Je commence à errer dans la fête, passant près de tasses fumantes de vin chaud. Et soudain, je tombe sur Jeanne, qui parle avec un couple près de l'immense sapin décoré.
— Jeanne, je peux te parler une seconde ? je lui demande sans hésiter.
Elle se retourne, surprise par mon ton, puis s'excuse auprès du couple avant de me suivre à l'écart.
— Tu n'aurais pas vu Claire ?
Elle me regarde, surprise, avant de secouer doucement la tête.
— Non, je ne l'ai pas vue depuis un moment. Peut-être qu'elle est rentrée, elle semblait un peu... perdue, tout à l'heure.
Perdue.
Le mot me frappe plus fort que je ne le voudrais. J'ai donc fait quelque chose qui l'a mise mal à l'aise... ou alors était-ce autre chose ?
Son téléphone !
Comment ai-je pu oublier ce détail aussi rapidement ? Son comportement a changé lorsqu'elle a regardé son téléphone ! Peut-être a-t-elle reçu une mauvaise nouvelle ou quelque chose qui lui demandait d'être à l'écart de la fête pour répondre.
Je continue de marcher, la neige crisse sous mes bottes alors que je regarde autour de moi, espérant apercevoir sa silhouette quelque part. Rien. Claire est adulte, elle n'a pas besoin de moi pour la surveiller, mais quelque chose dans son départ soudain m'inquiète. Je la connais, peut-être pas parfaitement, mais suffisamment pour savoir qu'elle me cache quelque chose. On apprend des gens en les observant, pas seulement en leur parlant ; et depuis son arrivée au chalet, j'ai passé beaucoup de temps avec Claire et j'ai compris que ce chalet, ce village, cachait quelque chose. Mais quoi ?
J'abandonne l'idée de me torturer l'esprit en me dirigeant vers le buffet dans l'espoir d'y trouver un remontant.
— Mon garçon, s'exclame Sandrine en arrivant derrière moi. J'adore ta petite, mais elle est inépuisable ! s'amuse-t-elle.
— Merci d'avoir veillé sur elle ce soir, je vais prendre le relais.
— Elle s'est endormie sur un banc près de mon mari, ne t'en fais pas, profite encore de ta soirée, dit-elle gentiment en posant une main sur la mienne. Soudain, une pensée traverse mon esprit, je repense au dîner où Sandrine et Claire avaient confié se connaître depuis l'enfance.
— Sandrine, tu connais bien Claire, n'est-ce pas ?
Elle fronce légèrement les sourcils, surprise par ma question.
— Pas tant que ça. On s'est rapprochées au collège, mais je ne sais pas ce qu'elle est devenue depuis son départ à Paris. Pourquoi cette question, Lucas ?
Je prends une grande inspiration, hésitant à mettre des mots sur ce que je ressens.
— Elle a l'air de vouloir fuir Winterbrook à tout prix, dis-je finalement.
— Claire a toujours été brillante, mais... il y a eu une période où elle s'est refermée sur elle-même, commence-t-elle, où elle a vécu une phase compliquée. À l'époque, elle était au collège, poursuit Sandrine d'une voix plus basse, comme si elle craignait d'être entendue. Il y avait ce garçon... Harry. Un garçon qui, disons, ne lui voulait pas que du bien.
Mon estomac se noue. J'ai déjà entendu ce prénom, Claire l'attendait chez elle il y a quelques jours, mais il n'est jamais venu. Pourquoi l'attendait-elle s'il ne lui voulait pas du bien à l'époque ?
— Qu'est-ce que tu veux dire ? je demande alors qu'elle soupire, visiblement mal à l'aise.
— Je ne connais pas tous les détails, Lucas, mais ce que je sais, c'est qu'après un incident, Claire a changé. Elle était plus distante, plus méfiante. Puis elle est partie, et elle n'a plus mis les pieds ici.
Un incident. Avec Harry ? Les mots résonnent dans mon esprit et alors que je m'apprête à poser une autre question, Sandrine secoue la tête.
— Si tu veux des réponses, Lucas, tu devrais parler à Claire directement. C'est son histoire, pas la mienne.
Je hoche la tête, mais mon esprit est déjà ailleurs. Claire et Harry ont définitivement une histoire commune, bien plus profonde que je n'aurai pu l'imaginer. Mais que s'est-il passé pour qu'elle porte ce poids, même maintenant ? Qu'est-ce qui a bien pu être si grave qu'elle doive fuir Winterbrook ? Je regarde une dernière fois autour de moi, espérant qu'elle ait changé d'avis et soit revenue. La neige tombe plus fort, effaçant les traces au sol. Je ne sais pas où elle est. Claire... qu'est-ce que tu fuis exactement ?
VOUS LISEZ
Un noël sous les flocons
RomanceClaire, une citadine accomplie, revient dans sa petite ville natale de Winterbrook pour vendre le vieux chalet qu'elle a hérité de sa grand-mère. Bien décidée à ne pas s'attarder, elle retrouve cependant la chaleur du village, ses souvenirs d'enfanc...