Lorsque je referme la porte, je cours me réfugier dans la cuisine. Ma tante est adossée à l'évier, un torchon dans les mains, me regardant avec cet air à la fois bienveillant et insistant. Je sais déjà où elle veut en venir, mais je n'ai pas envie d'entendre ce qu'elle va dire. Pas après... ça.
— Tu sembles ailleurs, Claire, commence-t-elle doucement.
— Je réfléchis sérieusement à l'offre, dis-je en me tournant vers la fenêtre, évitant son regard.
— Mais chérie, intervient sa tante avec douceur, tu viens tout juste de revenir ici. Pourquoi repartir maintenant ?
— Parce que plus rien ne me retient ici, répond Claire après une pause, sa voix cassante. J'ai tout rénové, mais ce n'est pas mon chez-moi. Ça ne l'a jamais été.
Je me retourne enfin, croisant ses yeux.
— Paris... Ce n'est pas comme si c'était un sujet sans importance, tu sais dis-je avec une pointe d'agacement.. C'est une opportunité énorme. Une chance unique.
Elle pose le torchon et avance de quelques pas, croisant les bras.
— Je comprends, Claire. Mais je te vois ici, et je ne peux pas m'empêcher de penser que tu es... différente, dit-elle d'une voix calme.
— Différente ?
— Oui. Plus heureuse, plus sereine. Moins... fatiguée. À Paris, tu es constamment en train de courir, de t'épuiser. Je sais combien tu as travaillé dur pour en arriver là, mais à quel prix ?
Je secoue la tête, exaspérée. J'ai l'impression d'entendre Jeanne qui m'a dit la même chose il y a quelques jours.
— Et ici, qu'est-ce que j'ai ? Harry ? Ce chalet plein de souvenirs que je ne veux même pas affronter ?
Sa voix reste douce, mais elle est déterminée.
— Ici, tu as une chance de recommencer, de construire quelque chose qui surpassera ton passé, dit-elle avant de marquer une pause en soufflant. Ce qu'il s'est passé avec Harry, je comprends que ça t'ai blessé, crois moi je le sais... Mais tu ne peux pas laisser un seul instant dicter le cours de toute ta vie. Tu ne peux pas continuer à fuir et à t'éloigner de ce qui t'a fait souffrir. Ce café-librairie dont tu parlais tout le temps quand tu étais plus jeune, reprend-elle, tu ne pourrais jamais faire ça à Paris.
Je ris sans joie.
— C'est un rêve, tata. Pas la réalité. À Paris, je peux avancer, faire quelque chose de concret. Ici, je reste bloquée avec un passé que je déteste.
Elle me fixe un moment, puis hoche doucement la tête, soufflant sur son chocolat chaud.
— Tu as raison. Ton opportunité à Paris est concrète, et je comprends pourquoi tu veux y retourner. Mais je te connais, Claire. Je t'ai vue grandir. Et je n'ai jamais vu cette étincelle que tu as aujourd'hui, dit-elle alors que je reste silencieuse, prise au dépourvu par ses mots. Si tu veux repartir, je te soutiendrai. Mais réfléchis bien à ce que tu laisses derrière toi. Ce n'est pas seulement une question de fuir Harry ou ce chalet. C'est une question de ce que tu veux vraiment, pas seulement de ce que tu penses devoir faire.
Elle me laisse là, seule avec mes pensées. Un café-librairie ? Ici, à des kilomètres de tout ce que je connais ? L'idée m'a toujours semblé folle. Et pourtant, à cet instant, elle semble un peu moins ridicule. Mais est-ce suffisant pour renoncer à Paris ? Et à ce que j'ai construit là-bas ?
Mon regard erre sur les murs, sur les meubles que j'ai rénovés, sur les souvenirs que j'ai crus pouvoir recréer ici, mais quelque chose me retient, me dérange. Ce n'est plus seulement le chalet, ni même Harry ou les fantômes du passé. Non, c'est la proposition qui flotte dans mon esprit depuis plusieurs jours : un poste de rêve. Je devrais être enthousiaste, sautiller d'excitation à l'idée de ce nouveau départ.
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Un noël sous les flocons
RomanceClaire, une citadine accomplie, revient dans sa petite ville natale de Winterbrook pour vendre le vieux chalet qu'elle a hérité de sa grand-mère. Bien décidée à ne pas s'attarder, elle retrouve cependant la chaleur du village, ses souvenirs d'enfanc...