Marie sort du grand stade et porte la main à son front pour se protéger du soleil qui frappe de toutes ses forces. Elle s'est changée — hors de question de retourner aux capsules en combinaison de pilote, ce qui ne manquerait pas d'attirer l'attention de ses collègues Intra-M — et a laissé son casque aux vestiaires. La jeune femme a enfilé une tenue légère, composée d'un débardeur couleur crème et d'un pantalon kaki coincé dans des bottes poussiéreuses. Pour se protéger des grains de sable qui virevoltent sans cesse au vent, elle a jeté sur ses épaules une veste grise souple, plus proche de la courte cape que du manteau, dont les larges manches s'arrêtent juste en dessous des coudes. La pièce de tissu respirant se referme sur sa poitrine par un simple nœud rouge, de la même couleur que les bracelets tintant à ses poignets. Marie a complété sa tenue d'un cache-poussière vert foncé et d'un large bandeau de même ton qui couvre en partie ses cheveux. Ce dernier est maintenu par une paire de lunettes aviateur, tout de verre et de cuir, particulièrement utiles lorsque les tempêtes de saison se lèvent brusquement. Car s'il y a bien une chose dont il faut se méfier quand on sort de la coque protectrice des capsules, ce sont ces vents chargés de particules qui traversent le continent en hurlant.
L'immense soleil est toujours bien haut. D'ailleurs, il ne fait jamais nuit sur Langkah : la planète présente toujours le même visage à son astre. Un côté se retrouve donc plongé dans une fournaise insupportable, où par endroit les roches se liquéfient, l'autre reste figé dans un enfer de glace que seules les lointaines étoiles éclairent. La colonie se trouve par chance dans la seule bande habitable de la planète, large de quelques centaines de kilomètres. Cette zone abrite les rares vies endogènes de Langkah : des plantes courtaudes presque noires qui luttent face au sable, une vie microbienne foisonnante dans les petits lacs non asséchés qui morcellent le paysage désertique — les scientifiques s'accordent pour dire que ces bactéries sont la source essentielle de l'atmosphère respirable de la planète —, ainsi que des animaux placides dont la taille varie de l'insecte au gros chien. Ces bestioles ressemblent pour la plupart à des fourmis reptiliennes, grégaires et parfaitement inutiles : elles sont immangeables et réfractaires à toute tentative d'apprivoisement. Que la vie se maintienne sur une telle planète tient du miracle. Non seulement l'équilibre semble précaire, mais les différences de températures entre les deux faces du globe engendrent des ascendants thermiques gigantesques qui alimentent des tempêtes aussi soudaines que dévastatrices. Elles charrient le sable des déserts environnants sur plusieurs centaines de kilomètres, traversent les grandes plaines d'herbes rases pendant des heures et détruisent tout ce qui n'a pas été mis à l'abri à temps : des plantations terriennes sans protection aux véhicules non équipés pour naviguer en dehors des protections de la cité.
Langkah s'étend autour des capsules d'ensemencement, dans un rayon de deux ou trois kilomètres. La ville est protégée naturellement des tempêtes par des collines auxquelles s'ajoutent des palissades amovibles pour canaliser les vents trop violents. Pour l'instant, la station météo de la colonie n'en prévoit aucune dans les huit prochaines heures : les lunettes de Marie resteront sur son front, ses gants de cuir à sa ceinture et sa veste légèrement fermée.
Des glisseurs se fraient tant bien que mal un chemin dans la foule qui n'en fait qu'à sa tête. L'atmosphère est étouffante et bruyante, balayée par des bourrasques chargées de poussières piquant les yeux. Les rafales s'engouffrent dans les ruelles polissant les murs de briques ocre des maisons serrées les unes contre les autres, leur donnant un aspect usé. Toutes les rues se ressemblent : des habitations basses à toit plat, de cinq ou six étages maximum, composées de parpaings et d'armatures de métal, qui s'étalent sur la plaine selon un labyrinthe complexe dessiné spécialement pour diminuer la force des vents. La cité est sale et donne l'impression d'être un chantier gigantesque. Elle sent l'huile, les effluves rances de gula raffiné et la sueur. Les habitants n'y peuvent rien, la ville a grossi trop vite et le climat peu clément ne fait rien pour leur faciliter la tâche : la cité est brûlée par la chaleur d'un soleil de plomb, abrasée par les tempêtes de sable et en permanence entretenue par des équipes de robots zélés programmés à contrer les effets destructeurs de l'environnement hostile.
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TURBA
Science FictionPour Marie de Glaz, quitter cette foutue planète est l'objectif ultime, le rêve de toute la colonie. Cela fait bientôt deux siècles que tous s'épuisent à rassembler suffisamment de gula pour un nouveau départ. Mais TURBA, un mouvement contestataire...