Cockpit du T21
Survol de Panas
Le transporteur file dans le ciel azur depuis une demi-journée, sans aucune turbulence à l'horizon. Les conditions météo sont exceptionnelles en ce moment, des traînes d'altitudes zèbrent la voûte céleste, mais le vaisseau trace tout droit, entre les colonnes mordorées de cristal de gula qui s'éparpillent sur la plaine. Marie se penche sur le bord du cockpit pour mieux voir la balafre brune qui craquelle la surface. Samuel a orienté son cargo de manière à courir le long du ravin principal. À l'ombre des cheminées fumantes, il fait presque frais pour la région — plus de trois cents degrés Celsius tout de même — mais le T21 se protège ainsi des turbulences qui déferlent de l'autre côté du gouffre. Allégé de sa cuve inutile pour une mission-taxi, il arrivera au mur dans quelques minutes seulement. Le voyage sera plus facile aussi, à condition que l'atmosphère du vaisseau s'améliore, alourdie par la tension qui règne entre les passagers. Samuel s'est renfrogné et a décidé de s'isoler à l'arrière pour regarder des séries insipides fabriquées par les IA des capsules. Justine s'est quant à elle calfeutrée dans une cabine. Marie se retrouve seule, à l'avant du transporteur, en compagnie de Daphné qui n'est pas très loquace pour une fois.
— Tu es bien silencieuse Daphné, murmure Marie à l'attention de l'intelligence artificielle du cargo.
— Vous l'êtes tous, bougonne l'IA. Sam a décidé de bouder, je sais pas trop pourquoi, et l'autre, là, Justine... J'ai l'impression qu'elle ne m'aime pas.
Marie ne peut que donner raison à la navigatrice. Lorsque Sam a demandé à l'IA de prendre la main sur Daryl, il a fallu quelques secondes à la foreuse pour saisir ce qu'il se passait. D'abord étonnée d'entendre deux IA sur le vaisseau, elle a carrément pris peur en comprenant que Daryl et Daphné n'étaient que les deux personnalités d'une même machine : DaDa. Une vraie anomalie aux yeux de la technicienne qui insulta copieusement SVP pour les risques qu'il faisait courir à ses passagers. Le pilote l'a envoyé balader, méchamment, et Justine s'est réfugiée dans la capsule de sauvetage. Sur la console du T21, Marie peut voir qu'elle a enclenché de manière préventive les circuits de préservation corporelle en cas d'atterrissage forcé. La jeune femme secoue la tête : si les turbulences deviennent importantes, le système peut s'activer à tout moment et la cellule se remplira d'une mousse de compensation grasse et malodorante. Cela n'a rien d'agréable, et Marie ne peut s'empêcher de sourire avec malice à l'idée de retrouver l'Extra-M engoncée dans une masse informe de bulles adipeuses, à cause d'un virage trop sec aux abords du mur.
— Tu conviendras tout de même : tu n'es décidément pas banale pour une IA, se moque Marie.
— Ce n'est pas de ma faute si je suis une IA émergente.
— Émergente ? Pas possible ça.
— Et pourquoi pas ?
— Il faudrait que tu sois consciente, que tu possèdes une empreinte cognitive.
— C'est bien ce que je dis ! J'en ai une, d'empreinte cognitive. Tu n'as qu'à vérifier à nouveau le module de pilotage.
Les entrées de carnet de bord reviennent en mémoire à Marie. Elle n'en revient toujours pas que SVP ait osé les falsifier pour permettre à DaDa d'outrepasser ses prérogatives.
— Laisse tomber, je sais bien que Sam a trafiqué les valeurs.
— N'importe quoi ! Je ne suis pas une de ces IA expertes que l'on enkyste dans les vaisseaux !
— Tu es une IA spécialisée, assène Marie. DaDa, tu es un pilote de transporteur. Une très bonne IA, je te l'accorde, mais une IA spécialisée quand même. Je n'ai jamais vu d'IA émergente, je doute même que cela existe.
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TURBA
Science FictionPour Marie de Glaz, quitter cette foutue planète est l'objectif ultime, le rêve de toute la colonie. Cela fait bientôt deux siècles que tous s'épuisent à rassembler suffisamment de gula pour un nouveau départ. Mais TURBA, un mouvement contestataire...