Continent Dingin
À bord du T21
Marie tire Justine autant qu'elle peut dans le couloir du T21. Derrière elle, la porte du sas se referme mal et une bourrasque froide s'engouffre dans le vaisseau. La technicienne inconsciente est lourde, Marie peine à la soutenir tant le cargo tangue et la ballote dans tous les sens. Les jambes de Justine raclent sur le sol métallique, y dessinant une trace rouge vif, tandis que Marie sent la combinaison de la jeune femme lui glisser entre les doigts.
— Sam ! crie-t-elle paniquée, j'ai besoin d'aide !
— Débrouille-toi, répond le pilote du fond de l'habitacle, j'ai plus urgent à régler pour l'instant !
— Mais elle va mal, je ne sais pas quoi faire ! supplie Marie qui dépose le corps de Justine contre la paroi.
Ses mains tremblent et les larmes lui montent aux yeux. Marie retire le casque fissuré de la technicienne, lui soulève le menton, mais sa tête retombe sur sa poitrine. Marie n'arrive pas à voir si elle respire encore. Le pantalon de la foreuse est devenu vermeil malgré les garrots de la combinaison et le boîtier de contrôle à la base de son cou bipe de manière alarmiste. Le T21 fait une embardée plus violente que les autres et Marie tombe à la renverse.
— Mets-la dans la capsule de sauvetage, tu trouveras la trousse de premiers secours sous la banquette de la zone-vie ! lance SVP entre deux alertes de Daphné.
Marie se relève et déverrouille le battant de la cabine placée en hauteur. La jeune femme hisse Justine tant bien que mal : elle la prend sous les aisselles, la soulève aussi haut que possible, et finit par la faire rouler sur le lit, imbibant la couchette de sang. Puis elle se précipite de l'autre côté du vaisseau, dans la cuisine sens dessus dessous, pour lever le strapontin et dégager la mallette blanche fixée au mur. Elle contient un injecteur, une série de fioles de couleurs, des straps sous papier-film et une ribambelle de petits outils métalliques.
— Je fais quoi maintenant ? s'affole Marie.
Les larmes roulent librement sur ses joues, elle n'a jamais vu de pareilles blessures et il n'y a pas de médecin sur ce cargo. Dans les vaisseaux-capsules de Langkah, il y a toujours la clinique génomique à disposition en cas de gros problèmes... Mais à l'autre bout de la planète, elle ne peut compter sur personne.
— Injecteur, fiole blanche, annonce Daphné dans les haut-parleurs. Je viens de contrôler son état de santé, c'est pas bon. Pique-lui le bas du dos pour la stabiliser.
— Je n'ai jamais fait ça ! glapit Marie en serrant fort dans sa main deux ampoules remplies d'un liquide laiteux.
— Enclenche les tubes à l'arrière du pistolet et appui sur la détente. Ne t'inquiète pas pour ses plaies : tant qu'elle garde sa combi, tu n'as pas à t'en faire.
Une nouvelle secousse et la trousse de soins se renverse, éparpillant son contenu au sol.
— Daphné, laisse-la se débrouiller ! s'écrie SVP en colère. Si t'es pas concentrée à cent pour cent sur les missiles, y a pas qu'elle qui va y rester !
Marie inspire lentement pour se calmer et essuie du plat de la main ses yeux embués. Elle attrape l'injecteur qui a glissé sous la tablette et se rue dans le couloir. De retour à la cabine, Marie enfonce la première fiole dans l'appareil. L'état de Justine n'a pas évolué. Marie prend son courage à bras-le-corps et dégage le dos de la technicienne. Elle dégrafe une partie de la combinaison, plaque l'embout du pistolet sur la peau de Justine, retient sa respiration et presse sur la détente. La capsule se vide d'un coup, le corps de la jeune femme se crispe brusquement puis se détend aussi sec. Marie laisse tomber l'injecteur et se passe la main dans le cou, sans se soucier du sang qu'elle met partout. Elle ferme les yeux ; elle espère avoir fait le bon geste et prie que ce soit suffisant pour sa coéquipière. Le transporteur bascule à nouveau sur le côté et Marie se rattrape de justesse à la rambarde du lit. Elle boucle la ceinture autour de la taille de la blessée qui semble aller mieux — du moins, le capteur de sa combinaison a cessé de s'emballer, et referme la porte du module. Samuel jure depuis la cabine de pilotage.
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TURBA
Science FictionPour Marie de Glaz, quitter cette foutue planète est l'objectif ultime, le rêve de toute la colonie. Cela fait bientôt deux siècles que tous s'épuisent à rassembler suffisamment de gula pour un nouveau départ. Mais TURBA, un mouvement contestataire...