3 - Film d'action

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Vaisseau-Capsule numéro 3

Quartier des Conscrits


Marie se laisse tomber sur son canapé, détache les boucles de sa veste, puis du bout des pieds envoie ses bottes valser en direction de la porte d'entrée.

— Alfred, tu peux éclaircir un peu le mur s'il te plaît ? demande-t-elle à l'attention de la poupée gigogne qui trône sur la table basse. Le jouet en bois peint de couleurs vives se trémousse et ouvre deux grands yeux noirs.

— Bien sûr Marie, lui répond l'assistant d'intérieur d'une voix grave et ronflante, en complète opposition avec les traits fins et délicats de son visage.

— Pas trop par contre, précise la jeune femme en se passant la main sur la nuque, j'ai besoin d'un peu de calme.

Aussitôt, le mur-fenêtre situé de l'autre côté de la pièce se trouble légèrement. Il perd en opacité et laisse entrer juste ce qu'il faut de lumière naturelle pour permettre aux veilleuses suspendues au plafond de s'éteindre. Marie s'étire en bâillant puis se love quelques instants dans les coussins moelleux de son fauteuil, à écouter le ronronnement électrique de la climatisation. Enfin, elle se redresse, contourne la table de la cuisine intégrée, attrape un verre sur la desserte et le remplit d'eau au robinet. Une musique s'élève doucement, enveloppante et apaisante.

— C'est sympa Alfred, qu'est-ce que c'est ? interroge la jeune femme en traversant la pièce pour rejoindre le mur-fenêtre.

— Le compositeur s'appelle Yvinek ; le morceau : « The Turtle Around the Corner », répond la poupée de sa voix grave. Une musique idéale pour se reposer !

L'artiste est inconnu de Marie — un truc progressiste vieux de plusieurs siècles d'après son module réseau — mais le style lui plaît et elle ajoute du bout des doigts les morceaux à sa playlist.

Marie tapote le mur translucide pour l'éclaircir encore. Ce dernier devient transparent et se transforme en une grande baie vitrée qui s'ouvre sur la ville de bric et de broc encerclant les vaisseaux-capsules. Cette vue est le gros avantage de son logement : si le quartier des conscrits — réservés aux jeunes Intra-M célibataires — n'a rien d'extraordinaire, son appartement se trouve au dernier étage d'un immeuble qui se dresse sur la couronne extérieure du Vaisseau-Capsule. Marie profite d'un panorama imprenable et ne se lasse pas de contempler le secteur extra-M en ébullition : le ballet des glisseurs, l'atterrissage des transporteurs, les lumières publiques clignotantes, la foule qui se croise aux carrefours... Mais ce qu'elle préfère à toute cette agitation, c'est la plaine désertique s'étalant au loin. Rien n'égale le spectacle envoûtant des ondulations qui traversent les champs d'herbes balayés par les vents et les rouleaux sombres qui s'écrasent et s'accrochent aux sommets acérés des montagnes au-delà. Les jours de tempêtes, la scène devient grandiose : des bourrasques chargées de sable coloré s'élèvent dans les airs, s'élancent dans la plaine, secouent les pylônes électriques et viennent s'abattre sur les remparts de la ville.

Marie termine son verre d'eau, le pose sur la table basse et commande à son assistant le ragoût mis en avant dans la liste des trouvailles culinaires. Dans un quart d'heure, les cuisines de secteur lui livreront le plat fumant avec une gelée de sève de suri, son dessert favori. Il ne lui reste qu'à patienter et profiter de la musique.

Son logement est petit par rapport à la norme des habitations intra-M du Vaisseau-Capsule : une pièce d'une vingtaine de mètres carrés contenant une cuisine automatique et des meubles escamotables, une chambre étroite et aveugle, ainsi qu'une salle de bain indépendante. On est loin du luxe de la maison familiale située de l'autre côte de la base-vie. Le rang 7 de son père lui assure une place confortable, une habitation où chaque membre de la famille possède sa propre chambre, avec un jardin intérieur qui jouxte l'immense salon de réception. Sa position lui assure même la jouissance d'une pièce supplémentaire faisant office de bureau. Lorsque Marie a décidé d'emménager dans le quartier des conscrits, les IA du Vaisseau-Capsule ont reconfiguré entièrement la maison familiale pour supprimer sa chambre. Mais le bureau est resté. D'un point de vue esthétique, les bâtiments conçus par les IA n'ont rien de fantastique. Après tout, c'est une base-vie améliorée constituée de modules réutilisables à l'infini. Les murs sont lisses et froids, comme le sol qui est fabriqué du même matériau autonettoyant. Il s'agit de panneaux aussi fins que du papier, mais qui possèdent des caractéristiques acoustiques et thermiques remarquables combinées à une résistance étonnante. Les plaques qui constituent les murs extérieurs ont même la faculté de s'opacifier à volonté pour faire office de fenêtres.

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