8 - Un éléphant

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Transporteur T21

Marie s'attendait à être vraiment secouée en entrant dans la zone des vents, mais l'insertion s'est déroulée sans encombre. Elle reste sanglée sur un strapontin du couloir, encore tremblante de son échange avec Samuel Vogel-Poulon. Bien qu'excitée par la situation — elle s'apprête tout de même à vivre l'expérience dont elle a toujours rêvée —, elle se tait, sanglée dans son harnais cinq points, les doigts serrés sur le sac à dos posé sur ses genoux. À sa droite, le cockpit s'est illuminé de couleurs vives tandis que le vaisseau s'enfonce dans la zone de non-retour. En tout cas, le fuselage grince et des spasmes parcourent le cargo tandis que les stabilisateurs se déchargent pour maintenir l'assiette du vaisseau. Samuel se penche sur sa console de pilotage, la jeune femme ne voit pas grand-chose d'autre que la nuque du pilote calé dans son siège. Il sifflote toujours sa musique idiote, qu'il suspend de temps à autre pour discuter avec DaDa sur un ton badin ; le plus souvent, c'est Daphné qui lui répond. Pour le reste, le fauteuil de Samuel lui bouche la vue : Marie ne voit rien du paysage de la planète. Marie se redresse et espère entrapercevoir un coin de montagne. Elle commence à s'ennuyer, depuis leur sortie de l'enclave, personne ne lui a adressé la parole. Samuel Vogel-Poulon fait comme si elle n'existait pas, il l'a peut-être même oubliée.

— Merci, se risque Marie.

Samuel lève à peine les yeux.

— Je ne t'ai pas vue à bord, déclare SVP en reportant son attention sur les indicateurs de vol. Tu restes un passager clandestin.

— Ça me va, lui répond Marie.

— Alors, ne me remercie pas, reprend-il, laconique. Si tu te fais choper, je chargerai la barque et je ne ferai rien de plus pour t'aider.

— Ça me va aussi, acquiesce-t-elle.

— D'ailleurs si ça tourne mal, je peux t'assurer que tu seras le cadet de mes soucis. Ce sera chacun pour soi.

— J'ai bien compris, j'accepte ça, murmure la jeune femme.

— Et arrête de t'écraser comme ça, on dirait un robot... Si tu acceptes ces règles, et bien, je n'ai plus qu'à te souhaiter la bienvenue sur le T21.

Marie se tait. Le transporteur gîte encore un peu, mais les stabilisateurs font des merveilles pour trouver un point d'équilibre. La jeune femme se risque à détacher sa ceinture, puis remonte en direction du cœur du cockpit. Elle se campe près de Samuel et pose la main sur le dossier du siège vide à ses côtés, rangé sous les panneaux de navigation.

— Est-ce que je peux ? demande-t-elle en faisant mine de s'installer.

Samuel la regarde en coin et finit par accepter en soupirant.

— Vas-y, fais-toi plaisir, après tout... Mais ne touche à rien. La navigatrice, ici, c'est Daphné.

— Coucou Marie ! Résonne la voix enfantine et agaçante de l'IA. Contente que tu restes avec nous ! Sam est sympa, mais je suis ravie d'avoir une fille avec qui discuter.

Marie pince un sourire et s'assied lentement dans le fauteuil. La cabine d'un transporteur. Elle en connaît par cœur les commandes pour avoir passé une bonne partie de son temps libre sur des simulateurs de vol, mais là, c'est pour de vrai. Les consoles de navigation luisent sur son côté droit, tandis que la partie gauche est dégagée pour communiquer facilement avec le pilote. Daphnée lui présente d'une voix emballée tous les composants de l'habitacle. Il n'est pas très différent de celui d'un glisseur, on y retrouve les mêmes commandes principales, mais étalées sur une surface bien plus grande. Alors que, coincée sur son bolide de course, Marie devait basculer en permanence sur différentes interfaces pour optimiser son plan de vol, elles sont ici toutes présentes et affichées en même temps. Le poste de navigation n'est pas seulement utile à la planification du parcours du vaisseau, non, cette tâche s'automatise entièrement. Il permet d'agir directement sur les couches basses du système et les paramètres du cargo : calibrer les réacteurs, ajuster les champs de forces et répartir la consommation d'énergie du vaisseau. Aujourd'hui, les IA semi-conscientes sont suffisamment fiables pour prendre en main complètement l'appareil, mais il est toujours possible d'outrepasser les commandes automatiques et de rentrer manuellement les consignes. À ce sujet, les courses de glisseurs sont de véritables sports mécaniques, et l'usage d'IA s'apparente à de la triche : elles sont interdites sur les circuits. Tandis que pour les transports commerciaux, ou ceux bien plus dangereux du convoyage de ressources minières, elles sont devenues incontournables. Aujourd'hui, presque aucun pilote de transporteur ne modifie les recommandations de son autopilote. Apparemment, Samuel ne déroge pas à la règle, les commutateurs sont figés et il laisse entièrement son IA schizophrène prendre en main les couches basses du T21.

TURBAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant