20 - Course poursuite

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Périphérie de la colonie


Marie repousse de la pointe de la botte un insecte noir aux pattes courtaudes qui se tortille et s'enfonce dans le sable. Le remorqueur s'est arrêté à quelques centaines de mètres des premiers baraquements de Lankgah, à l'écart des routes principales qui permettent d'entrer dans la colonie. La proche banlieue de la ville est quadrillée de plusieurs constructions mal entretenues, dont la mission est de briser les assauts des tempêtes de sels. Dans l'ensemble, il s'agit de cloisons ajourées hautes de quinze mètres qui pivotent lentement sur leurs axes pour détourner les tourbillons de poussière. Espacées à intervalles réguliers, elles s'enfoncent parfois dans le sol pour retenir des coulées de sable ou s'arc-boutent contre les bourrasques acides. La zone ressemble à un immense labyrinthe de béton et de métal. Il fait chaud, même à l'ombre du remorqueur. Le véhicule stationne patiemment depuis un quart d'heure au point de rendez-vous convenu avec TURBA. Marie est descendue prendre l'air, fatiguée d'attendre. D'ici, la colonie demeure invisible, cachée par le champ de panneaux qui poussent à perte de vue. Seuls les vaisseaux-capsules gigantesques se dressent au-dessus d'eux et permettent de connaître la position relative de la ville. Marie s'adosse à l'un des murs de briques polies pour profiter de la fraîcheur passagère de son ombre. De près, les vantaux sont à l'image de Langkah : rouillés, parfois éventrés... Il est clair que les robots d'entretien ne suffisent pas. Par endroit, la zone tampon ressemble plutôt à une décharge où s'empilent des carcasses de glisseurs et des tas de gravats. Les pièces détachées impropres au recyclage y sont abandonnées comme déchets encombrants. Bien que la colonie gaspille peu, deux siècles de rebuts représentent toujours quelque chose de conséquent : pas de trace organique, ni de larges morceaux de métal, non ; mais des enchevêtrements de plastique, de gomme et de cartes électroniques s'étendent à perte de vue.

Ben tourne autour de son remorqueur pour vérifier l'état de ses vérins. Une fois satisfait, il campe à l'avant et porte sa main en visière pour scruter les ondulations de l'air brûlant. Samuel apparaît dans l'embrasure du véhicule. Il déplie sa grande carcasse fantomatique et sort dans la lumière crue. Sans même jeter un œil aux alentours, il racle les pieds dans la couche de poussière et vient rejoindre Marie dans l'ombre du panneau mobile.

— Ça ne va pas ? demande la jeune femme en notant la mine sombre du pilote.

SVP secoue la tête et se laisse glisser le dos contre le mur.

— Non, ça ne va pas, murmure-t-il en se prenant les genoux dans les bras.

— T'as pas réussi à accéder à la mémoire de DaDa ?

— Si, marmonne Sam, ce n'est pas ça le problème.

Samuel sort le bloc noir de sa poche d'un geste de dépit ; son transmetteur personnel est scotché à son sommet, une fiche rouge directement soudée entre les deux appareils. Il valide une commande sur l'écran et le haut-parleur du messager crépite : « Da da... Da da... Da da Dada... Dadada da daaaa » La voix enjouée de Daphné résonne et boucle sur la même syllabe.

— J'ai pu charger la mémoire, reprend Samuel par-dessus les babillages de la machine. Mais il n'y a que l'empreinte primaire. Le kyste de Daphné ne contient que ça.

— Je ne comprends pas, explique Marie en s'approchant du pilote. Ce n'est pas ça qui est important ?

— Si, mais pas seulement, réplique SVP avec une tension dans la voix. Je te l'ai déjà dit, Daphné est une IA émergente, elle vaut bien plus que ça ! C'est comme si elle avait été effacée : elle a perdu toute sa connaissance, sa mémoire, ses émotions... Tout ce qu'elle a acquis ces dix dernières années ! Ce que je lui ai appris, ce qu'elle est ! finit-il par cracher. Son empreinte primaire est là, mais elle est vierge, complètement vide !

TURBAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant